Rue des Poitevins, c. 1866
Rue des Poitevins, de la rue Hautefeuille. Paris VIe. Vers 1866.
- Date : vers 1866
- Auteur : Charles Marville (1813-1879)
- Format : tirage 2016 d’après négatif restauré numériquement, 27.3 x 34.9 cm
- Collection : GDC
Version haute définition : 2600 x 3325 pixels.
Marville se trouve rue Hautefeuille et photographie la rue des Poitevins. Au fond, la rue se prolonge en retour d’équerre en direction de la rue Serpente, anciennement du Battoir.
Si le boulevard Saint André, projet précurseur à la rue Danton, avait été percé, il aurait probablement été envisagé de prolonger la rue des Poitevins en ligne droite jusqu’au nouveau boulevard. En outre, la largeur des rues Hautefeuille et des Poitevins devait être portée à 10 mètres, en vertu d’une ordonnance royale du 11 août 1844, ce qui ne sera réalisé que très partiellement.
En 1898, le prolongement de la rue Danton, entre la rue Serpente et la place Saint-André des Arts, va amputer la rue des Poitevins d’une bonne moitié de son tracé, dont son petit coude qui s’appelait rue du Gros Pet au XVIIe siècle. Sa longueur passe de 108 à 50 mètres.
À droite au premier plan, au no 2, c’est la librairie de Théodore Lefèvre.
Position de Marville. [1600 x 1000 px.]
Hôtel Panckoucke, anciennement des États de Blois
La porte au fond est celle de l’hôtel Panckoucke (14, rue des Poitevins), anciennement des États de Blois, qui était la résidence du célèbre éditeur du XVIIIe siècle, Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798).
Cadastre par îlots de Philibert Vasserot (quartier de l’École de Médecine, îlots nos 20 et 21), vers 1828. Archives nationales. (Nous avons fait ressortir en rose vif l’emprise de l’hôtel Panckoucke.) [2600 x 1566 px.]
Après la mort d’Ernest Panckoucke le 6 janvier 1886, l’hôtel est loué avec promesse de vente le 26 janvier 1887 par un groupement de Sociétés savantes de Paris qui souhaite y établir un Palais des sociétés savantes.
Le Comité d’études, présidant à l’édification du nouveau Palais, pétitionne rapidement auprès de la Ville en faveur d’un tracé en coude de la voie nouvelle destinée à remplacer le boulevard Saint André 1. Ce tracé non orthodoxe épargnerait en quasi-totalité l’emprise de l’hôtel Panckoucke 2, contrairement au tracé en ligne droite alors envisagé. 1. “À la suite d’une pétition du Comité d’études du palais des sociétés savantes demandant que l’ancien hôtel Panckouke, situé rue Serpente, 28 et rue des Poitevins, soit dégagé du côté du boulevard Saint-Germain, l’Administration présenta un second tracé, qui, précisément parce qu’il n’est pas absolument en ligne droite, permettrait une solution plus favorable à la question.” M. Sauton, rapporteur, Conseil municipal de Paris, séance du 24 mars 1888. 2. Seul le bâtiment faisant angle des rues Serpente et des Poitevins devait être retranché. Pour l’anecdote, M. Berthomieu, propriétaire du 30, rue Serpente, souhaite lui vivement être exproprié et pétitionne pour le tracé en ligne droite 3. 3. Le 30, rue Serpente, anciennement 16, rue du Battoir, existe toujours. Avec les nos 32 et 32 bis, il fait partie de l’actuelle Maison de la Recherche.
Ce tracé en coude étant définitivement acquis par décret du 7 avril 1888, le Comité lance la construction d’un bâtiment à l’alignement de la future rue. À cette fin, la partie de l’hôtel Panckoucke située au coin des rues Serpente et des Poitevins est immédiatement démolie 4. À cette place, l’architecte Fernand Delmas (1852-1933) construit en 1888-1889 un immeuble avec une rotonde marquant l’angle de la rue Serpente et de la future rue 5. 4. Démolition en août 1888. 5. Permis de construire le 27 août 1888 et début des travaux le 29 septembre 1888 (on note que les autorisations administratives sont délivrées à l’architecte Fernand Delmas, 110, rue du Faubourg Poissonnière). L’observatoire de la Sociéte astronomique de France voulu par Camille Flammarion, qui se trouve en coupole au sommet de la rotonde du Palais, est ouvert en mai 1890.
À la suite d’une délibération du Conseil municipal le 27 décembre 1889, la “rue nouvelle”, alors seulement en partie exécutée entre la rue Serpente et le boulevard Saint Germain, est baptisée rue Danton par arrêté du 18 avril 1890.
En 1898, on reprend le percement de la rue Danton, de la rue Serpente à place Saint André-des-Arts. C’est à cette date que le portail de l’hôtel Panckoucke, que nous voyons sur la photographie, est démoli. L’agrandissement du Palais, agrémenté d’une seconde rotonde d’angle, est alors construit, en grande partie sur le terrain libéré par la disparition d’une partie de la rue de Poitevins.
En vert, la partie construite en 1888-1889, avant le percement de la rue Danton. En bleu, la partie construite en 1899-1900, après le percement de la rue Danton. En hachures blanches, l’ancienne grande cour de l’hôtel Panckoucke. Cette cour sera retranchée par un bâtiment sur son côté oriental, puis, à l’occasion d’une importante restructuration au début des années 2000, sur son côté méridional. Le grand escalier que l’on voit au sud-ouest de la cour fait partie des éléments de l’ancien hôtel encore conservés aujourd’hui. [3000 x 2194 px.]
Le nouveau Palais est donc construit en deux temps : en 1888-1889 pour la première rotonde et une partie de la façade que nous voyons aujourd’hui entre les deux rotondes, et en 1899-1900 pour la seconde rotonde et la façade qui suit jusqu’au no 6, rue Danton. Paul Sédille (1836–1900), l’architecte des magasins du Printemps, réalise au 6 bis, rue Danton, la porte d’entrée de la Société centrale des architectes français dans un style néo-renaissance qui se distingue du reste du bâtiment. Les sculptures de cette porte sont dues à André-Joseph Allar (1845–1926).
Le palais est aujourd’hui la Maison de la Recherche dépendant de l’université Paris-Sorbonne. Il avait été racheté en 1958 par les Domaines pour le compte de l’Université de Paris et de sa Faculté de Lettres, à l’époque à l’étroit dans la Sorbonne.
La pension Laveur, hôtel du président de Thou
À droite, au no 6, un peu avant la lanterne d’éclairage public, une lanterne se lit “Café au 1er, Table d’Hôte”. C’est la maison de la pension Laveur, fréquentée par les étudiants désargentés et de nombreux artistes et intellectuels comme Gustave Courbet, Étienne Carjat, Léon Daudet, Francis Carco, Léon Gambetta.
La pension était dans un bâtiment de l’ancien hôtel du président de Thou, dans sa chapelle selon certains auteurs. L’hôtel était divisé en deux parties : le grand et le petit hôtel, respectivement aux nos 6 et 8 dans la numérotation du XIXe siècle.
Le plan de restitution d’Albert Lenoir et Adolphe Berty donne l’emplacement de l’hôtel du président de Thou. BNF. [2000 x 1365 px.]
L’hôtel de Thou a aussi appartenu à Charles-Joseph Panckoucke. C’est là qu’il installe l’imprimerie et les bureaux de la Gazette de France, du Mercure de France, du Journal de Genève, de l’Encyclopédie méthodique et plus tard du Moniteur universel, qui deviendra le Journal officiel de la République française. En raison de ce commun propriétaire, d’innombrables auteurs ont confondu l’hôtel Panckoucke avec l’hôtel de Thou.
Une des plus anciennes et des plus célèbres tables d’hôtes du quartier Latin, la pension Laveur, va disparaître sous peu, emportée par le vent d’hygiène qui souffle avec fureur sur certaines agglomérations de ruelles étroites et obscures de Paris.
En apprenant cette nouvelle, plus d’un homme politique, plus d’un avocat en renom, plus d’un médecin parvenu, se sentiront doucement émus et se rappelleront l’époque joyeuse et printanière où ils fréquentaient chez le père Laveur.
— O ma jeunesse, c’est vous qu’on enterre ! pourront-ils s’écrier, comme le Rodolphe de Murger.
En une attendrissante vision, ils se reverront, étudiants, dans cette hospitalière maison. Ils humeront l’odeur savoureuse des fricots mijotant sur les fourneaux, ils se remémoreront les joyeuses soirées passées là entre camarades, coudes sur la table, dans la fumée bleue des cigarettes. Des profils féminins leur apparaîtront vagues, estompés dans la buée des années. Et, peut-être une larme, une toute petite larme, timide, honteuse, viendra-t-elle humecter leurs yeux.
Située dans cette étroite rue des Poitevins, qui a conservé un caractère assez archaïque, la pension Laveur a donné asile à plusieurs générations d’étudiants.
Pour parler comme Hugo, le « logis était propre, paisible, honnête ». La cuisine y était, de mon temps du moins, sinon succulente, du moins saine, appétissante, en tout cas ; elle ne rappelait en rien les horribles mixtures confectionnées dans les gargotes du quartier. C’était la vraie et traditionnelle cuisine de famille, celle que les mères rêvent pour leur fils quand, du fond de leur province, elles les envoient, en soupirant, étudier dans ce grand Paris qui leur fait tant peur.
[…] Un bon type ce père Laveur ! Un peu bourru, mais le cœur sur la main. Quand il avait confiance dans les futures destinées d’un de ses pensionnaires, honnête mais pauvre, il lui faisait crédit pendant plusieurs années. Il allait même jusqu’à l’approvisionner de tabac. Nous pourrions citer quelques avocats et plusieurs médecins qui ont été nourris et hébergés des années durant, sans bourse délier, dans cette pension de la rue des Poitevins, qui était sous Louis XIII la demeure seigneuriale des de Thou. Il n’est pas besoin d’ajouter qu’ils se sont plus tard largement acquittés envers leur modeste bienfaiteur.
[…] En disparaissant, la pension du père Laveur fera place, sans doute, à un bel et vaste immeuble de rapport. Elle sera certainement regrettée de tous ceux qui ont vécu dans ses vieux murs, au temps où ils étudiaient le code dans la chambre de Mimi Pinson.
[Le Gaulois, lundi 25 juillet 1898.]
Dans le même immeuble, dans les années 1860, on trouve la maison Henner et Cie, spécialisée dans les produits chimiques pour la photographie.
POITEVINS (RUE DES). Commence à la rue Hautefeuille, nos 6 et 8 ; finit à la rue Serpente, nos 26 et 28 ; le dernier impair est 11, le dernier pair, 14. Sa longueur est de 108 m. — 11e arrondissement, quartier de l’École de Médecine.
En 1253, on l’appelait rue Gui-le-Queux, ensuite rue Guy-le-Queux dite des Poitevins. Des titres de l’année 1356 l’indiquent sous la dénomination de rue Guiard-aux-Poitevins. En 1425, c’était la rue des Poitevins. Cette voie publique, dans la partie qui débouche sur la rue Serpente (autrefois du Battoir), se nommait au quinzième siècle rue du Pet ; en 1560 rue du Petit-Pet, et en 1636, du Gros-Pet.
Une décision ministérielle du 23 prairial an VII, signée François de Neufchâteau, fixa la largeur de cette voie publique à 6 m. En vertu d’une ordonnance royale du 11 août 1844, cette largeur devra être portée à 10 m. Toutes les propriétés riveraines sont soumises à retranchement. Dans cette rue est l’hôtel de Thou, depuis propriété du libraire Panckoucke, où l’on voyait autrefois la riche bibliothèque des Savants.
[Félix et Louis Lazare. Dictionnaire administratif et historique des rues et monuments de Paris. Paris, Bureau de la Revue Municipale, 1855.]
Datation de la prise de vue : vers 1866.
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- Support : tirage sur papier albuminé, 26.6 x 35.8 cm
- Collection : State Library of Victoria
Version haute définition : 2600 x 3418 pixels.
(On notera la porte de l’hôtel Panckoucke mystérieusement colorée en vert sur ce tirage.)
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No 259 | Rue des Poitevins, de la rue Hautefeuille. Vers 1866. | ||
State Library of Victoria | Musée Carnavalet | BHVP (négatif) | |
H88.19/28 | CARPH000780 | NV-004-C-0491 | |
26.6 x 35.8 | 27.1 x 35.9 | 28.8 x 38 | |
vers 1877 | 1865-1868 | vers 1868 |
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Voir également :
Auteur(s) de la notice : Laurent Gloaguen.
Publié initialement le lundi 1 février 2016.
Dernière mise à jour le dimanche 18 décembre 2016.
Article classé dans : Charles Marville > Vues du Vieux Paris.
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