Cabaret des Métèques, 1916
Manifestation contre la fermeture du cabaret “Les Métèques”. 100, bd de Clichy, Paris XVIIIe. Avril 1916.
- Date : avril 1916
- Auteur : Agence photographique Rol, Paris
- Support : négatif sur verre, 5 x 7 po (13 x 18 cm)
- Collection : BNF, Paris
Version haute définition : 2400 x 3388 pixels.
“Les Métèques”, rénovateurs de la vieille chanson française, protestent contre une fermeture illégale et demandent justice. Vive la France !
En mars 1916, un nouveau cabaret dénommé Les Métèques ouvre dans l’ancienne Taverne des Truands, au no 100 du boulevard de Clichy. Un mois plus tard, vers le 3 avril 1916, la salle est fermée par décision de la préfecture de Police, officiellement “pour cause de scandale et dans l’intérêt de la moralité publique”.
La Rampe, “revue des théâtres, music-halls, concerts, cinématographes”, publie alors un texte à la plume trempée dans le vitriol réactionnaire et patriotique dans son numéro du 6 avril 1916 :
Les Métèques
Il était à Montmartre un nouveau cabaret qui osait s’intituler cabaret des Métèques.
Dans ce fameux cabaret se réunissaient chaque soir de nombreux indésirables : souteneurs, cocaïnomanes, morphinomanes, éthéromanes, invertés et hétaïres 1 ! charmante société ! 1. Homosexuels et femmes vénales.
C’était un repaire du vice qu’il était incompréhensible de voir ouvert en temps de guerre.
Les chansonniers qu’on entendait dans ce bouge se souciaient peu de la censure car leurs chansons étaient tout simplement écœurantes et sales.
À l’heure où tant de braves gens se font tuer pour un idéal, il était véritablement pénible de voir toute cette pègre pulluler à Montmartre et se réunir librement comme en temps de paix.
La police se décida enfin à procéder à l’épuration nécessaire. Depuis hier soir, l’établissement est fermé. Que la police cependant ne s’endorme pas et perquisitionne ailleurs à Montmartre, elle y retrouvera sans doute facilement les mêmes “métèques” !
Le Petit Parisien donne une raison plus claire 2 : “Motif : un censeur qui avait assisté aux représentations jugea trop grivoises et déplacées des chansons, d’ailleurs non censurées.” 2. Le Petit Parisien, 4 avril 1916, no 14302, p. 3. Ce “censeur” pourrait être le député socialiste Aristide Jobert qui, scandalisé après une visite à l’établissement, aurait usé de son influence auprès des autorités.
L’aventure des Métèques aura une suite : “L’autorité administrative ayant ordonné la fermeture de l’établissement montmartrois dit le Cabaret des Métèques, le tenancier de cet établissement, M. Rémy Paddy, imagina de rouvrir à son domicile personnel, 16, avenue Rachel. Mais, hier, à la demande de la société propriétaire de l’immeuble, le juge des référés a ordonné l’expulsion de Rémy Paddy, ainsi que la séquestration de ses meubles, en garantie des loyers dus 3.” 3. Le Petit Parisien, 21 juin 1916, no 14380, p. 2. Le juge des référés a en effet convenu que les nocturnes bacchanales de Rémy ne pouvaient être considérées comme une occupation bourgeoise de l’atelier d’artiste loué à la Société Immobilière de l’Ouest.
À cette occasion, le commissaire des Grandes-Carrières indique au sujet du cabaret de Métèques 4 : 4. Le Figaro, 21 juin 1916, 62e année, 3e série, no 173, p. 5.“C’était là la réunion de quelques filles de Montmartre et de jeunes gens, fantoches de la littérature ultra-moderne qui, sous le couvert de réunions artistiques, causaient un scandale éhonté.” Et : “On représente Paddy comme de bonne famille, très aisé, jetant, au gré de sa fantaisie, l’héritage paternel, mais aussi comme un déséquilibré, un anormal, teinté d’un peu de littérature.”
La salle des Truands, inoccupée après le court épisode des Métèques en 1916, est démolie et reconstruite en 1920 5 pour accueillir le Théâtre des Marionnettes (ouverture début mars 1921, dirigé par MM. Charles Zibell, Camilio Traversi et André Colomb 6), théâtre qui n’aura qu’une brève existence et laissera la place aux Deux-ânes de MM. Roger Ferréol et André Dahl quelques mois plus tard. 5. Comœdia, 10 décembre 1920, no 2916, p. 1. 6. Le Ménestrel, 11 mars 1921, 83e année, no 10, p. 102.
Concernant M. Adrien Rémy, alias Rémy Paddy, on apprend en août 1920 7 : 7. La Lanterne, 29 août 1920, no 15737, p. 2. “Qui ne se souvient de M. Remy, ce joyeux farceur qui fut expulsé de son cabaret des Métèques, par ordre de la police au début de la guerre. Depuis il s’occupa d’aviation, eut un procès retentissant à propos de stupéfiants trouvés à son ancien domicile, 2, rue Pierre-Haret, face au square Vintimille, où il fut emmuré vivant par son propriétaire l’hiver dernier. Il se promena aussi à cette époque dans la tenue très légère de Duncan 8. 8. En référence à Raymond Duncan, frère d’Isadora. Il vient de construire maintenant une baraque dans ce qui reste du maquis de la Butte Montmartre. On croit bien qu’il a oublié de prévenir le propriétaire du terrain et de lui demander la permission utile.”
Cette “baraque de la Butte Montmartre” est en fait un “phalanstère naturiste”, 71-73-75, rue Lepic 9, “une colonie libre d’idées et de principes de vie” d’inspiration ducanienne. 9. La Lanterne, 11 juin 1921, no 16022, p. 4. - Floréal, “l’hebdomadaire illustré du monde du travail”, 23 octobre 1920, no 38, p. 4. Ce qui amènera M. Rémy devant les tribunaux pour, entre autres, outrage public à la pudeur : “— Mais, enfin, a demandé à l’un des plaignants le président de la 10e chambre, en quel costume était M. Rémy ? — Son costume, répondit le témoin, consistait à n’en pas avoir. Je ne puis dire qu’il était précisément nu, car il avait un révolver en bandoulière.” Il sera finalement condamné en appel le 26 décembre 1921 à 4 mois de prison avec sursis et 200 francs d’amende, principalement pour avoir démoli un chalet 10 et procédé à des aménagements “sauvages” sur le terrain de la rue Lepic dont il n’était pas propriétaire, mais seulement locataire d’une partie. 10. Le Figaro, 3 novembre 1920, 66e année, 3e série, no 307, p. 2.
Pour l’affaire de stupéfiants évoquée par La Lanterne, la police fait une descente dans un appartement du 2, rue Pierre Haret, le 28 septembre 1919 11. 11. Le Journal, 29 septembre 1919, no 9864, p. 2. Cet appartement était censé être vide, car son occupant, connu comme trafiquant de stupéfiants, un certain Tarderot, avait été mis à l’ombre au mois de juillet. On y arrête pourtant une douzaine de femmes et six hommes dans ce qui semble être pour la police une fumerie d’opium dirigée par Adrien Rémy, alors âgé de 27 ans, et Frédéric Doux, 33 ans. Il est plus vraisemblable qu’Adrien Rémy profitait de la vacance d’une connaissance pour organiser des soirées festives comme il l’avait déjà fait avenue Rachel.
Et pour finir avec ce fascinant personnage, c’est aussi le même M. Rémy, “ingénieur-constructeur”, qui s’illustrera dans l’aventure de l’Océanoglisseur en 1928-1929.
Datation de la prise de vue : vers le 4 avril 1916.
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M. Adrien Rémy, alias Rémy Paddy, est le personnage au centre, avec une canne. Sur le panneau derrière, on lit les noms de Villeneuve, Fernand Dhervyl, Matha Cialdini, Raton, Louftinguette, R. Gasty (compositeur), Sacha (1er violon). L’affiche à gauche signale “Direction Adrien Remy”.
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Voir également :
Auteur(s) de la notice : Laurent Gloaguen.
Publié initialement le samedi 24 octobre 2015.
Dernière mise à jour le dimanche 25 octobre 2015.
Article classé dans : Agence Rol.
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