La catastrophe de la rue Béranger, 1878

L’explosion de la rue Béranger, 1878

L’explosion de la rue Béranger. Paris IIIe. 15 mai 1878.

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La maison Blanchon, 22, rue Béranger à Paris, vendait en gros des jouets en métal, des amorces principalement destinées aux pistolets d’enfants, et des articles de Paris.

Les articles en métal (petits jouets, pistolets d’enfants, canons miniatures, souvenirs, etc.) étaient fabriqués dans une modeste manufacture située à Andrésy (Seine-et-Oise) et fondée en 1864 par M. Blanchon, ancien contremaître de l’usine de jouets Lemaire, également à Andrésy. Les amorces étaient achetées à une usine spécialisée de Vanves. Le magasin parisien de M. Blanchon, auparavant rue Sainte-Appoline, avait déménagé en 1874 rue Béranger, dans un immeuble datant des années 1730.

Dans le stock du magasin de Paris, on trouvait 1 : 1. Henri Napias, Manuel d’hygiène industrielle. Paris, G. Masson, 1882, p. 422.

— des amorces Chastin, réputées les plus sensibles au frottement, composées d’un mélange de chlorate de potasse (9 parties), phosphore amorphe (1 p.), sulfure d’antimoine (1 p.), soufre sublimé (0.25 p.) et sel de nitre (0.25 p) ;

— des amorces Wagner, composées de chlorate de potasse (10 parties), phosphore amorphe (1 p.) et résine (1 p.) ;

— des amorces Canouil, composées de chlorate de potasse (12 parties), phosphore amorphe (6 p.) et d’oxyde de plomb (12 p.) ;

et enfin des amorces pour briquets anglais, composées de chlorate de potasse (12 parties), phosphore amorphe (6 p.) et de craie (8 p.).

Les amorces Chastin, pesant 0,01 g chacune, étaient collées par séries de cinq sur des bandes de papier. Elles étaient vendues en boîtes de 10 feuilles, soit 50 amorces. Ces petites boîtes de papier gaufré étaient emballées par 12 dans un rouleau de papier, et 12 de ces rouleaux enveloppés de papier formaient une grosse (144 boîtes, 7 200 amorces, grosse signifiant 12 douzaines). Le stock d’amorces Chastin du magasin Blanchon était constitué de 800 grosses, soit 115 200 boîtes d’amorces, 5 760 000 amorces.

Avec les autres types d’amorces, on arrivait sans doute à un stock de plus de 7 millions d’unités (au moins 1 085 grosses). L’autorisation de la police ne permettait pourtant pas d’en emmagasiner plus de 600 000. Selon la réglementation en vigueur, les boîtes entreposées devaient être mobiles et placées sur des plateaux roulants, ce qui n’avait pas été respecté dans le magasin. Les seules 800 grosses d’amorces Chastin représentaient une masse totale d’environ 60 kg de chlorate de potassium.

Le mardi 14 mai 1878, vers 7 h 50 du soir, sans qu’on sache exactement pourquoi, un accident cause l’explosion générale du stock. Il ne restait plus alors au magasin que Mme Mathieu, épouse du gérant, et sa domestique, Mlle Marsilly.

L’immeuble s’écroule immédiatement, de larges pierres de taille de sa façade étant projetées à plus de 50 m. Les témoins évoquent une seconde explosion deux à trois secondes plus tard, dans la cour arrière de l’immeuble où se trouvait une réserve. À la suite des explosions, un incendie se déclare dans les décombres. L’immeuble voisin, le no 20, est très endommagé (on devra faire tomber son mur mitoyen qui menaçait les sauveteurs), ainsi que la façade du no 19, situé en face. 14 personnes sont tuées, 14 sont sérieusement blessées et des dizaines d’autres sont plus légèrement atteintes, souvent par des éclats de verre.

L’explosion de la rue Béranger, 1878

L’explosion de la rue Béranger. Paris IIIe. 15 mai 1878.

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Le Monde illustré, 25 mai 1878

La catastrophe de la rue Béranger. 14 mai 1878. “Le Monde illustré”.

Gravure parue dans Le Monde illustré du 25 mai 1878, no 1104, p. 5 (BNF, Paris). “La recherche des victimes dans la nuit du 14 mai. — Dessin de M. Vierge, d’après un croquis de M. Oms.”

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Dès les premiers jours qui suivent, d’importantes questions sont posées par la presse : “Est-ce que l’existence des citoyens va être à la merci de certains industriels ? La législation qui régit la matière serait-elle insuffisante ? 2.” 2. Le Petit Parisien, 17 mai 1878, no 578, p. 1. “L’imprévoyance du législateur est manifeste 3.” 3. Le Temps, 17 mai 1878, no 6236, p. 1.

La même presse n’est pas avare en détails horrifiques : “Le concierge du numéro 19 — nous citons l’expression de quelqu’un qui a vu ce malheureux — a eu les yeux frits. Ce qui en restait lui pendait sur le visage. L’homme se meurt 4.” 4. Le Petit Parisien, 17 mai 1878, no 578, p. 1. L’homme âgé de 63 ans, M. Sattler, survivra finalement et assistera au procès. Autres temps, autres mœurs, on note que pour encourager le travail des soldats et ouvriers qui déblaient les décombres à la recherche de cadavres, “on a fait placer à côté du numéro 24, un fût plein de vin. C’est là qu’ils vont boire. On a voulu ainsi éviter qu’ils perdent leur temps à aller chez le marchand de vin 5.” 5. Le Petit Parisien, 18 mai 1878, no 579, p. 1. Pour déblayer, on utilise seulement les mains et des outils de bois pour éviter toute étincelle, par crainte qu’il reste des matières explosives. Trois survivants seront découverts dans les ruines : un chien, un chat et un chardonneret en cage 6.” 6. “Mais il ne s’agissait que d’un chien, qui fut retiré vivant, dans un grand état de faiblesses bien naturel, après quatre jours de jeûne forcé. Cet animal appartient à M. Poncet ; il a été porté chez ce dernier, qui est installé au no 18 depuis l’éboulement. De la même excavation, M. Clément avait pu retirer un chat également vivant ; mais cet animal, moins intelligent que le chien, ne s’est pas prêté au sauvetage, et il a dû être lâché.” Le Petit Journal, 20 mai 1878, no 5624, p. 1. Le dernier cadavre à être trouvé sera le 21 mai celui de Mme Léonie Mathieu, née Nouvelle, 34 ans, la femme du gérant du magasin, qu’on découvre nue, ne portant plus qu’un bas blanc retenu par une jarretière bleue, et la tête fracassée. On ne trouvera que quelques morceaux de Mlle Marsilly, domestique des époux Mathieu, déchiquetée par la seconde explosion, celle d’une caisse de 200 grosses qui se trouvait dans la remise près de la cuisine.

Les autorités et la presse mettront un temps à se convaincre qu’un simple stock d’amorces pour jouets d’enfants peut causer un tel désastre. Même M. Blanchon se refusera à croire que son stock soit en cause. Il faudra une longue enquête et surtout des expérimentations, menées à l’Arsenal pendant l’été 1878, pour déterminer sans l’ombre d’un doute que c’était bel et bien la raison de la catastrophe.

L’instruction s’achève en décembre 1878. L’enquête établit que le 14 mai, la maison Blanchon possédait au moins 7 812 000 amorces et qu’un employé, M. Fichon, préparant une expédition dans la remise à l’arrière, laissa temporairement 50 grosses sur le plancher du magasin. Mme Léonie Mathieu, sortant du bureau et se dirigeant vers le comptoir dans la pénombre, aurait éventuellement trébuché sur les paquets placés sur son passage, sa chute provoquant l’explosion générale. Les experts sont unanimes sur le déclenchement de l’explosion par percussion d’une grosse et leurs expériences démontrent qu’un poids de 2.85 kg tombant d’une hauteur de 3 mètres suffit à faire exploser une grosse d’amorces de la maison Blanchon. Le choc de la première explosion se transmet dans l’instant aux autres grosses, les faisant exploser à leur tour 7. 7. La Presse, 13 février 1879, p. 4.

Le 14 février 1879, M. Blanchon, propriétaire de l’entreprise, et M. Mathieu, gérant du magasin, sont condamnés respectivement à 6 et 3 mois de prison, et des amendes de 200 et 80 francs, pour homicides et blessures par imprudence, et violations des règlements 8. 8. Compte rendu des débats devant la 11e chambre correctionnelle dans Le Temps, 13 février 1879, no 6507, p. 3. Ils font appel. Le 6 avril 1879, la cour d’appel confirme le jugement de première instance.

À la suite de l’explosion de la rue Béranger, un arrêté du ministre de l’agriculture et du commerce nomme, le 20 mars 1880, une commission dite des explosifs en vue de réviser la réglementation concernant la fabrication, le transport et la conservation de produits explosifs. Un projet de règlement général des explosifs, constitué de 436 articles, est adopté le 19 juin 1882.

D’autres accidents liés aux amorces à la poudre chloratée se produiront. Le 5 juillet 1888, au 21, rue Saint-Médard (Ve), l’appartement d’un brocanteur, M. Bréchard, explose après un début d’incendie, entraînant la mort d’un voisin, le crémier Molko. Ce sont des boîtes d’amorces au chlorate de potassium qui sont mises en cause.

Ces photographies judiciaires ont été réalisées afin de servir à l’enquête 9. 9. Des photographes furent semble-t-il réquisitionnés pour l’occasion par la préfecture de Police. Le Petit Parisien, 17 mai 1878, no 578, p. 2. Dans les années 1870, la police recourrait de plus en plus souvent à la photographie pour les affaires importantes et à cet effet, un Service de la photographie des services judiciaires avait été créé en 1874 par M. Lombard qui en assurait la direction.

Des tirages de ces photos sont très rapidement exposés, quatre jours après l’explosion, dans le pavillon de la Ville de Paris à l’Exposition universelle, sur le Champ-de-Mars 10. 10. Le Petit Parisien, 19 mai 1878, no 580, p. 1.
Le Petit Journal, 19 mai 1878, no 5623, p. 1.

Ces mêmes tirages ont par la suite été envoyés à l’Exposition internationale de Melbourne de 1880. Offerts le 8 avril 1881 au gouvernement australien à l’issue de l’exposition, ils sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque de l’État de Victoria (State Library of Victoria).

L’explosion de la rue Béranger, 1878

L’explosion de la rue Béranger. Paris IIIe. 15 mai 1878.

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Le Monde illustré, 25 mai 1878

Les ruines de la rue Béranger. 15 mai 1878. “Le Monde illustré”.

Gravure parue dans Le Monde illustré du 25 mai 1878, no 1104, p. 8 (BNF, Paris). “Fac-simile de la photographie exécutée par les soins de la Préfecture de police le lendemain du sinistre. — Reproduction de M. Férat.”

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L’explosion de la rue Béranger, 1878

Étaiement des restes du no 22, rue Béranger. Paris IIIe. Vers le 21 mai 1878.

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Position estimée

  • 1. Le 20 octobre 2015,
    Gepetto

    C'était le bon temps.