Maison close, 1910
Entrée d’une maison close, 106, avenue de Suffren. Paris XVe. Vers 1910.
- Date : vers 1910
- Auteur : Eugène Atget (1857-1927)
- Support : tirage sur papier albuminé, 21.7 x 16.8 cm
- Collection : BNF, Paris
Version haute définition : 3361 x 2600 pixels.
Le “106” était un bordel, ou “maison de tolérance”, de troisième classe, spécialisé dans la clientèle de l’École militaire qui est voisine. L’avenue de Suffren était alors assez misérable.
Le 5 février 1942, ce bordel est la cible d’un attentat de l’Organisation Spéciale (OS) contre l’armée allemande, sous la direction de Pierre Georges (dit colonel Fabien).
Datation de la prise de vue : 1910-1911.
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Une bande d’assassins a été arrêtée hier
Édouard Geslin, qui dirige, 106, avenue de Suffren, un abri très hospitalier, venait, le 12 mai, au matin, annoncer à la police qu’un de ses clients était mort subitement chez lui, au cours de la nuit. Comment ne pas ajouter foi à la déclaration d’un commerçant connu qui, outre son établissement, a un domicile particulier confortable, 20, avenue Lowendall.
On constata le décès du client fâcheux, un nommé Louis Urvoas, domicilié 115, rue de Javel. Le permis d’inhumer fut délivré par le médecin de l’état civil, mais, lorsque les employés des pompes funèbres vinrent pour procéder à la mise en bière, l’un d’eux eut la curiosité de retourner le mort et constata qu’il avait sept coups de couteau dans le dos.
Les inspecteurs du sixième district eurent tôt fait de s’emparer des coupables.
Édouard Geslin, le patron du 106, fut, naturellement, coffré, puis, on arrêta successivement : Taine, dit le Boxeur, dix-sept ans, rue Durantin, 16 ; Vasseur, dit Totor, dix-huit ans, charpentier 21, avenue de Vaugirard-Nouveau ; Sapience dit Lesène, dix-huit ans, 115, rue de l’Abbé-Groult ; Verrier, dit Kiki, dix-huit ans, 20, rue Durantin ; Germaine Harroué, seize ans, 32, rue Lacordaire ; Louis Martin, vingt-deux ans, déserteur du 102e d’infanterie ; Georges Vasseur, Georges Durand, rue Dombasle, 24.
Interrogés séparément, les bandits finirent par avouer l’assassinat d’Uuvoas, au 106 de l’avenue de Suffren, puis une tentative d’assassinat accomplie, le 17 mai, à 8 h. 30 du soir, boulevard Victor, sur M. Jean Queverdo, quarante-deux ans, rue Camille-Desmoulins, 72, qui fut poignardé et dévalisé ; une autre agression fut commise par eux, le 18 mai, près de la tour Eiffel, sur M. Georges Despavène, ingénieur, rue Desaix, poignardé et dévalisé.
Enfin, un chauffeur et un autre passant furent encore, quai d’Orsay, les victimes de ces bandits.
[Le Journal, no 9369, 22 mai 1918.]
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Maisons closes
DITES DE TOLÉRANCE
Et vulgairement appelées : Bordels, Boxons Lupanars ou Claques
Il en existe environ cinquante à Paris, disséminées dans les vingt arrondissements.
Quelques-unes sont luxueuses d’autres ne sont que confortables ; enfin, il en est qui sont d’infects taudis.
Le nombre des femmes dans chaque Maison close varie entre huit et quinze ; rarement cette quantité est moindre ou plus grande.
Dans les Boxons où ne fréquentent que les viveurs riches, les femmes sont jeunes, belles et assez intelligentes, pour qu’avant et après… l’œuvre de chair, les michés ne s’ennuient pas près d’elles.
Il est même certaines femmes, dans ces maisons de premier ordre, qui pianotent gentiment et savent mieux roucouler que beaucoup de cabotines des petits beuglants.
Les maisons de second ordre offrent également à leur clientèle un choix de femmes fort agréables.
Dans les Claques des quartiers éloignés du Centre, les femmes sont en général usées par vingt années de Bordels de France, des colonies ou de l’étranger.
Les rares créatures jeunes et fraîches (?) que l’on y trouve n’ont rien d’appétissant pour un monsieur délicat — elles sont grossières, « mal embouchées », et leur manière de s’offrir, au lieu de tenter, cause un réel dégoût.
Les clients ordinaires de ces Lupanars de bas étage sont des soldats en goguette et des ouvriers ivres qui, pauvres et sans goût, trouvent des charmes à ces gotons qu’ils « s’envoient » pour quarante « pélos » — deux francs.
J’ai vu dans une de ces maisons de la dernière catégorie une pauvre fille, si horriblement grêlée, que ses compagnes, sans pitié, appelaient poêle à marrons, à cause des trous dont son visage était rempli.
Une autre femme, dans le même Bordel, avait des varices !
Ailleurs, une femme d’au moins cinquante ans, était borgne !
Dans quelques Maisons closes du Centre, si quelques femmes ne sont pas, de visage, des beautés pures, elles sont du moins bien bâties, ont des croupes et des tétons plantureux, sont saines et bien portantes.
On ne peut être bien fixé sur l’âge des femmes « en Maison », car s’il en est qui, étant mineures, ont pu y être introduites grâce de faux états civils (Voir le chapitre Traite des Blanches), il en est d’autres qui, par le même procédé, passent pour n’avoir que vingt-trois ans, alors qu’elles en ont bel et bien trente.
À cela rien d’étonnant, puisque la femme honnête elle-même, à propos de son âge, ne craint pas de mentir !
Quand on entre dans un Lupanar qui n’est que confortable, on croirait pénétrer dans une salle de café où toutes les dames sont en peignoir et tête nue, — en cheveux, comme elles disent plus volontiers.
Dans un Bordel chic, l’arrivant est introduit dans un salon tout à fait select.
Sur un guéridon sont des albums contenant les photographies des dames disponibles.
Vous pouvez choisir et demander Mlle Bertha ou Mlle Georgette.
Beaucoup de messieurs préfèrent qu’on leur présente à la fois toutes les dames inoccupées dans le moment.
C’est alors que la maîtresse ou la sous-maîtresse passe de chambre en chambre et prononce, à chaque porte qu’elle entr’ouvre, le fameux :
— Toutes ces dames au salon !
Alors le « client » qui les a demandées voit arriver une dizaine de superbes filles de tout poil, de toute taille, souriantes, jouant de l’œil, se rendant par mille manières gracieuses et désirables.
Il se peut que le monsieur et la belle qu’il a choisie s’enferment immédiatement dans une chambre et que les autres femmes retournent à leur poste.
Mais, le plus souvent, sollicité par toute la bande à la fois, le « miché chic » reste au salon et et offre des consommations à toute la bande.
Là ce n’est pas un simple bock que l’on boit, mais des liqueurs fines et, surtout, du Champagne.
D’ailleurs, il n’est pas rare que des gentlemen ne viennent là que pour voir, boire et… dire — pas faire — des… cochonneries, car, selon le chansonnier Bachmann « Que serait la vie si l’on n’en disait pas ? »
Vous aurez peut-être la curiosité de visiter des Boxons de toutes les catégories.
Cela vous sera très facile, mon cher lecteur, car je vais vous les indiquer tous, ou à peu près, depuis le plus « smart » jusqu’au plus « moche ».
Dans les faubourgs, on appelle les Bordels par leur numéro, et l’on dit Le 25, le 73, etc.
Les Maisons closes des rangs supérieurs portent le nom de la rue où ils sont. On dit, par exemple Le Chabanais (rue Chabanais) ; le Taitbout (rue Taitbout).
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LE CHABANAIS, situé près la Bibliothèque nationale (rue Chabanais, no 12), est, sans contredit, le Bordel extra-chic de Paris.
La spécialité de cette Maison est d’offrir à ses clients des femmes de différentes nationalités.
Ces femmes, Françaises, Italiennes, Anglaises, Turques ou Japonaises, sont jolies chacune à leur manière et leurs façons d’agir n’ont rien de répugnant.
Ce Bordel, fort simple à l’extérieur, est, intérieurement, d’une richesse inouïe, — et très curieux.
Ce n’est pas là que vont faire la noce les employés à deux cents francs par mois !
La Maison est chic, mais chère !
Aussi, comme le chantait Plébins à l’Eldorado « N’y a qu’les rupins qui peuv’nt s’payer ça ! »
Si j’ai pu dire du Chabanais, dont la réputation est européenne, qu’il est le premier des bordels, c’est que je n’ai pas à craindre de contradiction, mais je n’assignerai pas de rang aux autres Maisons closes de marque, au moins entre elles, les tenanciers pouvant ne pas être satisfaits de mon appréciation et, jaloux, me… traîner aux gémonies, ce qui serait pour moi fichtrement vexant, pas vrai ?
Je classerai donc dans la même catégorie les maisons se valant à peu près, ne voulant être nuisible pour personne et tenant à ne pas me départir de mon habituelle impartialité.
Donc, j’estime que vous visiterez avec un égal contentement, après le Chabanais, les Maisons closes jouissant à Paris d’une vogue qui s’agrandit en vieillissant, et situées :
56, RUE TAITBOUT, près la Trinité.
4, RUE JOUBERT, Chaussée d’Antin.
14, RUE MONTHYON, près les Folies-Bergère.
8 et 10, RUE D’AMBOISE, près l’Opéra-Comique.
6, RUE DES MOULINS, près la Fontaine Molière.
11, RUE THÉRÈSE, près la Fontaine Molière.
12, RUE FEYDEAU, près la Bourse.
2 et 5, RUE DE LONDRES, près la Trinité.
6, RUE DES MOULINS, près le Square Louvois.
92, RUE DE PROVENCE, près la gare Saint-Lazare.
16, 22 et 30, RUE LA FERRIÈRE, près le Bal Tabarin.
D’autres claques très « courus », où vont se divertir de nombreux provinciaux et étrangers de passage à Paris, sont situés :
25, RUE Ste-APPOLINE, près la porte Saint-Denis.
32, RUE BLONDEL, près la Porte Saint-Denis.
39, RUE SAINTE-ANNE, près la Bourse.
131, RUE D’ABOUKIR, près la Bourse.
42, RUE MAZARINE, près le Pont-Neuf.
5, RUE DE QUATRE-VENTS, près Saint-Sulpice.
9, RUE J.-J. ROUSSEAU, près la Bourse du Commerce.
8, RUE COLBERT, près la Bibliothèque Nationale.
37, RUE DES PETITS-CARREAUX, près le Th. du Gymnase.
Vous, mon cher lecteur, qui êtes un gentleman, si vous visitez les Maisons de tolérance inscrites ci-dessous, ce ne peut être pour y prendre du plaisir, mais seulement pour vous documenter. À ce titre, elles valent d’être vues.
Les « pierreuses » fatiguées du Trottoir, lassées de faire la navette de la Chapelle à Charonne, de la Bastille à l’Hôtel-de-Ville, de la Tour Saint-Jacques à la Porte Saint-Martin, trajet qu’elles firent dix heures par jour pendant dix ans et plus, sont entrées dans ces boxons pour se reposer, comme des ouvrières éreintées vont au sanatorium se retremper un peu.
Les mieux conservées sont les plus demandées, et elles… marchent jusqu’à dix, quinze et vingt fois, les samedis soirs, jours de paye, où les ouvriers avinés viennent en grand nombre… gaspiller le fruit d’une semaine de travail !
164, BOULEVARD DE LA VILLETTE,
214, BOULEVARD DE LA VILLETTE,
226, BOULEVARD DE LA VILLETTE, non loin des Buttes Chaumont.
70, BOULEVARD DE BELLEVILLE, non loin de la place de la République.
24, RUE SAINTE-FOY, près la porte Saint-Denis.
10, RUE DE FOURCY, près les Halles.
15, RUE JEAN-BEAUSIRE, près l’Arsenal.
23, RUE MAÎTRE-ALBERT, place Maubert, quart. latin.
112, RUE DE MONTREUIL, non loin de la Bastille.
19, RUE TRAVERSIÈRE, non loin de la Bastille.
2, PASSAGE BESSIÈRE, au bout de l’avenue de Clichy.
7, RUE JOLIVET, près la Gare Montparnasse.
17, RUE JOLIVET, près la Gare Montparnasse.
162, BOULEVARD DE GRENELLE, près l’École Militaire.
22, AVENUE LOWENDAL, près l’École Militaire.
106, AVENUE DE SUFFREN, près l’École Militaire.
106, BOULEVARD DE LA CHAPELLE, près la Gaîté Rochechouart.
Dans une des vieilles rues voisines de l’Hôtel-de-Ville et dont je me suis occupé d’autre part (Voir chapitre Bas-fonds), est situé le pire des bordels que j’ai visités.
Le soir où je pénétrai dans ce… — plutôt cloaque que claque, — une douzaine d’individus étaient là, gueulant, — dég… aussi, — fumant du tabac puant, acheté à la Foire aux Mégots (Voir Bas-Fonds), pelotant d’épouvantables maritornes et tenant les plus orduriers propos.
C’étaient, pour la plupart, des « Mendigots » dépenaillés, hirsutes, crasseux et remplis de toutes les vermines, se grattant à toute minute et écrasant des petites bêtes, — dites parasites, — tout en bécottant des « poules » de cinquante ans, décharnées, édentées, dont mon confrère Alphonse Gallais, qui m’accompagnait, put dire, non sans quelque raison :
— Viande à Macquart !
(Macquart enlève les animaux crevés sur la voie publique.)
En effet, ces malheureuses avaient l’air si délabrées que nous nous demandâmes comment des hommes, même sales et repoussants, pouvaient, en présence de telles créatures, arriver à consommer l’acte charnel, but évident de leur venue en ce lieu… d’allégresse et d’amour !!!
Pauvres vieilles femmes !
N’inspirent-elles pas plus de pitié que de mépris ? Si j’étais millionnaire, — sans blague, — je fonderais l’Œuvre des Invalides de la Prostitution, car c’est surtout, — à ce qu’il me semble, — dans cet état-là qu’il doit être pénible de travailler encore, à cinquante ans sonnés.
Une des « Viande à Macquart » dont j’ai parlé avait encore dans la physionomie quelque chose d’assez noble, et, dans les yeux, qui durent autrefois être très beaux, des lueurs d’intelligence.
Il se peut qu’acculée à la pire misère, ne trouvant plus à travailler honnêtement, cette femme se soit réfugiée là pour ne pas mourir de faim !
Quelle torture, alors, pour elle, que d’être obligée de souffrir les ignobles contacts d’hommes ivres, dégoûtants, brutaux et grossiers !
À sa place… j’aimerais mieux me jeter dans la Seine.
Mais les plus malheureux, les plus affligés, aiment quand même la vie, et c’est en se vautrant dans la fange qu’ils se donnent parfois l’illusion du bonheur !
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La belle XXX, pensionnaire du TAITBOUT, voulut bien, un soir, me donner moult renseignements dont j’avais besoin.
Au moment où je la remerciais avant de me retirer, elle me demanda si je n’avais pas quelque chose à lui offrir en souvenir de moi.
Je me fouillai et trouvai dans ma poche quelques exemplaires d’une chanson de mon crû.
J’en donnai un à XXX, qui l’ayant regardé, s’écria, étonnée :
— Tiens ! tu connais Machin ? (Machin, c’était le nom de l’éditeur, imprimé au bas de la couverture).
— Il y a longtemps, dis-je.
Alors, la belle XXX ajouta :
— Moi aussi.
— Tu as donc été dans la musique ? lui demandai-je, ou bien. Machin est-il… ton client, ici ?
— Es-tu discret, d’abord ?
— Oh ! très discret, je t’assure.
— Eh bien, ne dis rien de moi à ce sujet, tais mon nom, et appelle Machin M. Untel, mais raconte ce que je vais te dire, ça amusera tes lecteurs.
— Je t’écoute.
— Machin, éditeur de musique, officier d’académie, notable commerçant, est en même temps… patron de bordel.
Je sursautai :
— Pas possible !… Tu ne te trompes pas ?… Je n’en savais rien.
— Parbleu ! tu penses bien qu’il ne s’en flatte pas ; il se contente d’empocher le « beau pognon » que ça lui rapporte.
— Comment l’as-tu appris ?
— J’ai travaillé dans sa boîte.
— Laquelle ? La maison d’édition ou la maison close ?
— Tu blagues ! Au boxon. Est-ce que je sais quelque chose dans la musique, moi ?
― Et alors ?
— Alors, mon vieux, tu peux te renseigner, tu verras que je ne mens pas : Machin est le patron du bordel de la rue…
(J’ai promis d’être discret, mais il s’agit d’un établissement hospitalier très connu.)
—… J’y ai travaillé pendant trois ans, ajouta la belle XXX, et comme j’étais très bien, — oh ! mais bien, bien, bien, — avec la maîtresse, c’est elle-même qui m’a tout dit.
Or, j’ai vérifié, — ce ne fut pas facile, — et, à mon tour, je peux certifier ceci :
M. Machin, officier d’Académie, éditeur de musique, la tête d’une maison fort connue depuis un grand nombre d’années, dirige également une maison close ! Tandis que, dans son bureau, il reçoit les auteurs et compositeurs, sa femme (je ne sais si elle est légitime), qui est son alter ego, s’occupe avec beaucoup de tact, — dit-on, — du. poulailler.
« L’argent n’a pas d’odeur, » doit se dire M. Machin, et il s’assure, par le cumul des professions lucratives, une vieillesse heureuse ! Il sera un jour maire de son village, et Mme Machin le secondera encore quand il devra couronner des rosières !
Et je ris, moi, en achevant ce curieux chapitre en tête duquel j’aurais pu écrire : Musique, palmes violettes et prostitution ! — titre ronflant et sensationnel !
[Levic-Torca (Victor Leca). Paris-noceur. Paris, J. Fort, 73, Faubourg Poissonnière, 1910.]
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Voir également :
Auteur(s) de la notice : Laurent Gloaguen.
Publié initialement le jeudi 26 mars 2015.
Dernière mise à jour le vendredi 27 mars 2015.
Article classé dans : Eugène Atget > Boutiques et enseignes.
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