Prostituées de la rue Asselin, 1925

Eugène Atget, prostituées de la rue Asselin

Prostituées de la rue Asselin. Paris XIXe. Vers 1925.

Version haute définition : 2310 x 3000 pixels.

La rue Asselin, haut lieu de la prostitution du quartier Combat, avec les rues voisines Monjol et Péchoin, était située entre le boulevard de la Vilette et la rue Bolivar. Elle a été rebaptisée rue Henri Turot en 1935. La presse en parle régulièrement pour ses faits divers sordides, rixes et échanges de coups de couteaux. Le quartier était d’une extrême pauvreté.

En bas du versant de Paris, dans toutes les petites voies qui partent de la rue Bolivar et aboutissent au boulevard de la Villette, réside une population très mêlée. A côté des employés du dépôt des Omnibus, des raffineurs, des débardeurs, ont trouvé place, surtout vers les rues Asselin et Monjol, dans des hôtels qui rappellent les plus mauvais lieux des XVIIIe et XIIIe arrondissements, des individus sans profession, sans métier, dangereux et paresseux, qui ont valu aux boulevards extérieurs, leur mauvais et légitime renom. Ils sont là aussi près que possible du territoire de leurs exploits.

[Henri Bonnet. Paris qui souffre : la misère à Paris. Paris, V. Giard et E. Brière, 1907.]

PARIS IMMONDE

Les conseillers municipaux de la périphérie, las d’entendre leurs collègues des quartiers du centre réclamer les embellissements de leurs avenues et le percement de nouveaux boulevards, viennent d’attirer l’attention sur les lamentables cloaques qui, dissimulés le plus souvent derrière de somptueuses, maisons modernes, sont de véritables foyers d’infection qu’une édilité a le devoir de faire disparaître sans délai.

Ne serait-il pas plus utile pour Paris, puisque ses finances ne lui permettent pas de tout entreprendre à la fois, de raser les quartiers insalubres que, par exemple, de prolonger le boulevard Haussmann ? Si la question est moins intéressante, au point de vue financier, elle présente, par contre, quelque intérêt au point de vue des vies humaines à sauvegarder.

La Commission avait parcouru la veille la périphérie de la rive gauche. Elle a visité hier les 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements.

[…] Que viennent faire ces gens ? Raser leurs bicoques ? De quel droit ? On les obligera donc à fuir dans d’autres quartiers, plus lointains encore, où ils trouveront difficilement à se loger pour le même prix.

Et vraiment, ces pauvres gens n’ont pas tout à fait tort. La société est si mal faite, si inique, qu’elle les contraint à vivre dans la saleté, puisque les maisons neuves coûtent cher… Le problème ne consiste donc pas seulement à détruire ces masures, il faut édifier à la place des demeures hygiéniques dont les loyers ne seraient pas plus élevés. Que nos édiles méditent cette grave question. C’est d’un intérêt vital pour leurs électeurs et pour eux-mêmes.

Nous visitons encore les impasses Paynet et Langlois qui donnent place Hébert (La Chapelle), dans le quartier de la Villette, l’impasse de Joinville et le passage de l’Épargne, cloaques fétides qui, la nuit, se transforment en coupe-gorges ; les pittoresques rues Asselin, Pechouin et Menjol (quartier du Combat) qui n’attendent pas la chute du jour pour être fréquentées par un monde très spécial et où d’innombrables dames aux peignoirs clairs font des signes engageants (?) aux passants ; de non moins insalubres impasses, à Belleville, à Saint-Fargeau, à Charonne, qu’il serait trop long de décrire. […]

[L’Humanité. N° 1859. 20 mai 1909.]

Dans les années 20, la miteuse rue Asselin est connue pour sa prostitution au rabais, un cimetière des éléphants en quelque sorte, spécialisé dans la clientèle nord-africaine (les “sidis”).

En face du métro Combat, un peu à droite, après le numéro 120, monte vers les buttes Chaumont la petite rue Monjol que traverse la rue Asselin, en découpant dans le centre de cette croix un pâté de maisons loqueteuses qu’on appelle le « fort Monjol », citadelle d’amour où une douzaine de rez-de-chaussées recèlent chacun dans leurs flancs vermoulus trois eu quatre filles, toutes descendues au dernier degré de la plus basse prostitution.

Maquillées, à peine vêtues d’un simple peignoir dégrafé aux couleurs orientales, elles attendent, guettent et appellent les débardeurs et les « sidis » qui pullulent à cette heure dans les bars d’alentour et qui rôdent et se succèdent à leurs seuils demi-clos, éclaboussés d’une pâle lueur intérieure.

Ces paradis-là sont sordides et très dangereux car, malgré leur grâce souriante, ces odalisques sont surveillées par des « petits amis » en casquette et qui guettent, vigilants, le client attardé ou ivre, chasseurs de « peg » toujours à l’affût, grâce à l’obscurité complice.

Pendant la journée, elles s’installent en « négligé » à leurs seuils et raccommodent, lavent leur unique chemise, s’interpellent entre elles dans l’argot le plus pur et parfois règlent à coups de couteau leurs petits différends. L’œil toujours aux aguets de l’amateur imprévu, elles narrent les dernières prouesses de leur « homme ». Plus loin, quelques façades aux vitraux opaques surmontées d’un numéro trop voyant signalent au passant leur genre de commerce un peu particulier.

[Anonyme. Guide des plaisirs à Paris. Paris, sans éditeur, 1927.]

Le “Fort Monjol” et ses environs ont été expropriés et rasés entre 1926 et 1935. La construction d’HBM rues Asselin et Monjol, ainsi que l’élargissement de la rue Asselin, ont été déclarés d’utilité publique par arrêté préfectoral du 31 juillet 1928.

Il faudrait qu’un homme comme Atget, un homme consciencieux, à peu près libéré de toute vanité, vînt au monde dans chacune des grandes villes du monde pour nous en laisser une image exacte, parce qu’il n’est humainement vrai que les visions inspirées par la sentimentalité collective.

Atget ne recherchait pas les complications de la nuit et du petit jour pleines d’imprévus charmants, il ne ratait jamais ses clichés afin de dépasser par hasard le territoire dont il était le maître. Son œuvre est loyale, avant tout. Elle représente un reportage d’une qualité exceptionnelle et souvent un émerveillement purement plastique. Nul mieux que lui ne connaissait Paris depuis le Fort-Monjol disparu jusqu’aux aimables pelouses d’un jardin pour enfants. Il savait reconnaître en toute chose la nuance qui donnait à cette chose sa valeur.

Atget mourut très âgé et peut-être intimement découragé. Pourtant je ne pense pas cela. J’ai rencontré le père Atget, une fois par hasard. Il vendait à ce moment-là des portraits de boutiques et de filles pour servir de documents à des peintres. Cet ancien homme de théâtre était impénétrable. Tout d’abord parce que personne ne cherchait à le comprendre et à comprendre la profonde valeur de son œuvre. Atget était un homme de la rue, un artisan Poète des carrefours de Paris. Il n’annonçait pas son emploi par un chant approprié, mais on apercevait sa silhouette haute, un peu voûtée, portant un appareil sur trois pieds, entre la marchande des quatre saisons, le rempailleur de chaises et le chevrier et sa flûte de Pan.

[Pierre Mac Orlan. Préface à Atget, photographe de Paris. Paris, Henri Jonquières, 1930.]

Position estimée