Coin de la rue Franklin et du boulevard Delessert, 1919

Coin de la rue Franklin et du boulevard Delessert, 1919

Coin de la rue Franklin et du boulevard Delessert, 19 février 1919. Lieux de l’attentat contre George Clemenceau.

Version haute définition : 3207 x 2300 pixels.

Hmmm, voilà bien de la flicaille… que se passe-t-il dans ce quartier d’ordinaire si calme ? — Comment ça, vous n’êtes pas au courant ? On a essayé d’assassiner le Tigre ! On lui a tiré dessus !

Le 19 février 1919, l’anarchiste Émile Cottin tire sur George Clemenceau, au coin de la rue Franklin et du boulevard Delessert.

Il était neuf heures moins le quart lorsque M. Clemenceau sortit de chez lui, 8, rue Franklin, et monta en automobile pour se rendre au ministère de la guerre.

Sur le siège avaient pris place le chauffeur Decaudin et le soldat Congeas. La paisible rue Franklin était à peu près déserte encore, à cette heure matinale l’auto fila à vive allure et dévala la rue dont la pente s’accentue vers le carrefour.

En cet endroit pourtant, la rue Franklin formant avec le boulevard Delessert un angle aigu, le chauffeur, pour contourner le rond-point situé au milieu de la place dut faire frein.

C’est ce que le meurtrier, sans doute, n’avait pas été sans prévoir. À peine la voiture avait-elle ralenti sa marche qu’un individu qui flânait à la devanture d’un magasin et se dissimulait parmi les clients s’élança vers la chaussée.

De taille moyenne, les cheveux blonds assez longs, les yeux bleus, vêtu d’un pantalon de velours et d’un caoutchouc couleur kaki, l’individu fit un bond et, braquant un revolver sur l’auto qui passait, tira.

Deux balles frappèrent le côté gauche de la voiture et, pénétrant par les glaces latérales, ressortirent en face par les glaces correspondantes. Et déjà l’une d’elles avait effleuré M. Clemenceau, à hauteur de l’épaule, traversant son pardessus en séton, mais sans le blesser.

D’instinct, mais aussi sans perdre son sang-froid, le chauffeur fit alors le geste sauveur. Il appuya sur l’accélérateur et l’auto obéissante bondit en avant. Il était temps. L’assassin, dont le revolver automatique était encore lourd de balles, s’était en effet jeté aussitôt à la poursuite de la voiture et, dans sa course, il continuait de faire feu, frappant le panneau arrière de plusieurs autres balles.

C’est un de ces projectiles qui, pénétrant légèrement de biais, atteignit M. Clemenceau vers l’omoplate droite. Les autres traversèrent l’automobile de part en part, brisant la glace de devant et le pare-brise par-dessus la tète du chauffeur. Et sans doute, M. Clemenceau, après un premier mouvement de surprise qui le fit se dresser pour voir, eut-il la présence d’esprit de se baisser, car la carrosserie porte la trace de trois balles qui, groupées du côté droit, où il était assis, auraient dû l’atteindre s’il avait été adossé à la capote, à sa place accoutumée.

Les premières détonations cependant avaient à peine retenti, que le soldat Congeas sautait de la voiture en marche et, apercevant le meurtrier, tirait sur lui, sans l’atteindre, deux coups de revolver.

Des habitants du quartier s’étaient aussi précipités, attirés par le bruit. Des premiers, un négociant en cycles du boulevard Delessert, M. Brugeron, et un jeune homme dont le père est coiffeur rue Vineuse, M. Henri Moulin, s’élancèrent sur les pas du meurtrier.

L’agent de la Sûreté Labaigt et le gardien de la paix Ravery, du seizième arrondissement, prirent aussi leur course et l’assassin ne tarda pas être rejoint.

L’un d’eux le saisit à bras-le-corps, un autre le frappa à la nuque, le soldat Congeas lui asséna sur la tête un coup de crosse de son revolver.

À leur approche, le meurtrier n’avait eu qu’un geste ; lâchant son arme, il avait levé les bras en signe de détresse et, comme l’a rapporté un témoin, « fait aussitôt camarade ».

Mais la foule indignée ne l’entendait pas ainsi. Car maintenant, de toutes parts les habitants du quartier affluaient et entouraient les agents accourus qui faisaient cercle eux-mêmes autour de l’assassin. Et c’est à grand » peine que ce dernier put être protégé contre la fureur populaire et soustrait à une justice sommaire. Malgré la courageuse défense des gardiens de la paix, il ne put esquiver d’ailleurs bon nombre de horions sérieux, et c’est le visage en sang, les vêtements déchirés, qu’il fut entraîné vers le poste de la rue de la Pompe.

Pendant que se déroulait cette scène, l’automobile de M. Clemenceau avait stoppé à deux cents mètres de là, boulevard Delessert, et brusquement rebroussé chemin. Mais à l’intérieur, M. Clemenceau, blessé, n’était plus seul.

Un officier du dépôt aéronautique voisin, le lieutenant Gibert, qui venait d’assister aux premières péripéties de l’attentat, avait sauté sur le marchepied de la voiture, malgré la vitesse, et ouvrant la portière de droite, était entré dans l’automobile.

La voiture s’arrêta rue Franklin, M. Clemenceau descendit aidé par le lieutenant et par un secrétaire d’état-major.

À ce dernier qui le soutenait sous le bras droit, M. Clemenceau dit, doucement « Fais attention, tu me fais mal ! » II put néanmoins traverser les vingt mètres qui séparent le trottoir de son appartement, marchant d’un pas toujours ferme.

[Le Figaro, 20 février 1919.]

Sur la droite de la photo (sur la version en haute définition), on peut distinguer le petit magasin de cycles de M. Brugeron, boulevard Delessert.

Position estimée

  • 1. Le 21 février 2015,
    C.VICTOIRE

    Le Tigre refuse d'être opéré. Une balle l'a atteint près des poumons : nous tâcherons de faire bon ménage !