Boulevard Henri IV, de la rue de Sully, 1876
Boulevard Henri IV, de la rue de Sully. Paris IVe. 1876.
- Date : 1876
- Auteur : Charles Marville (1813-1879)
- Support : tirage sur papier albuminé, 32.8 x 22.9 cm
- Collection : State Library of Victoria
Version haute définition : 4072 x 2600 pixels.
Sur cette photographie de Marville, les immeubles les plus proches, que nous voyons des deux côtés de la voie, font partie d’un même ensemble qui fut éventré par le percement du boulevard Henri IV en 1876.
C’est l’ancien couvent des Célestins, transformé en caserne après la Révolution. Il a complètement disparu aujourd’hui. Le pavillon isolé à droite, datait de 1730, celui à gauche, abritant un grand escalier, de 1682.
La photographie est prise de la rue de Sully et au bout du nouveau boulevard, nous voyons la colonne de Juillet sur la place de la Bastille. Marville l’a réalisée entre octobre et décembre 1876, probablement en décembre comme d’autres photos de la série. Si l’horloge fonctionne, il est 13 h 05.
Les rails servent au transport des matériaux ; on commence l’installation des trottoirs.
[Ci-dessus, superposition du tracé des îlots modernes au bâti c. 1830. En rouge, les portions du couvent des Célestins visibles sur la photographie de Marville.]
La création du couvent des Célestins remonte au milieu du XIVe siècle (première pierre de l’église en 1367). Son clos couvrait une superficie considérable, un quadrilatère délimité par les actuelles rues du Petit-Musc, de la Cerisaie, de l’Arsenal et de Sully. Son cloître, construit de 1539 à 1550, était parmi les plus beaux de Paris et le couvent était considéré comme le plus riche de la capitale.
[Ci-dessus, le plan de Berty signale en hachures denses les parties ajoutées au couvent en 1729-30. Les autres bâtiments, hors cloître, église et chapelles, étaient principalement de 1682. J’ai superposé le tracé des îlots modernes.]
L’ordre des Célestins est dissous pour “indiscipline” en 1778. En 1783, le couvent est transformé en hospice, probablement tenu par des Célestins sécularisés. Par arrêt du Conseil du 25 mars 1785, l’usage des bâtiments est offert à l’établissement des sourds-muets de l’abbé de l’Épée, avec une rente prélevée sur les revenus des biens séquestrés des Célestins.
[Ci-dessus, plan du rez-de-chaussée du couvent des Célestins, vers 1785. Le cloître est numéroté 10. À sa droite, l’église et ses chapelles. Le pavillon à l’horloge de la photo de Marville est numéroté 1, et est légendé “Salle des Secrétaires du Roy”. En bas, la rue du Petit Musc. 2103 x 1524 pixels.]
[Ci-dessus, plan Mathieu d’après Verniquet, 1789. J : couvent et clos des Célestins. D : bâtiments et cours de l’Arsenal. H : raffinerie de salpêtre. E : jardin public de l’Arsenal.]
En 1790, le couvent devient Bien national et il demeure destiné à l’établissement des sourds-muets repris par l’abbé Sicard. En 1791, on y adjoint les Jeunes Aveugles de Valentin Haüy.
En 1792, Alexandre Lenoir prélève les plus beaux monuments funéraires de l’église et des chapelles pour son futur Musée des Monuments français. Ces monuments et sculptures sont aujourd’hui dispersés entre le Musée du Louvre (comme le monument du cœur du duc Henri Ier de Longueville ou le tombeau de Charles de Maigny), la basilique de Saint-Denis et quelques églises comme Saint-Gervais-Saint-Protais.
En 1795, on installe à la place des sourds et aveugles, un quartier de cavalerie. Le couvent devient ainsi la caserne du Petit-Musc et son église, une écurie.
En 1801, Alexandre Lenoir souhaite récupérer les 250 colonnes du cloître, mais sans succès, car le général Savary, commandant de la place, s’y oppose.
La propriété de la caserne est transférée de l’État à la Ville de Paris par ordonnance royale du 5 février 1841. La Ville souhaite l’affecter à la garde municipale. Elle fait construire de nouveaux bâtiments le long de la rue de Sully, notamment à la place de l’église, des chapelles et du cloître — parties très endommagées par la Révolution, un incendie en 1795 et le manque d’entretien pendant un demi-siècle — qui sont démolis en 1847. À cette occasion, on découvre le caveau et les restes d’Anne de Bourgogne (1404-1432), fille de Jean sans Peur. Les ossements sont transférés en mai 1853 auprès du cercueil du grand-père d’Anne, Philippe le Hardi, dans une crypte de la cathédrale de Dijon.
En 1855, la caserne des Célestins héberge cinq compagnies et deux escadrons de la garde de Paris, soit 830 hommes.
Le percement du boulevard Henri IV en 1876 signera la fin des bâtiments qui restaient du couvent des Célestins. La caserne du Petit-Musc est vétuste, amputée d’une partie de ses bâtiments, et séparée de ses terrains d’exercices et manèges par le nouveau boulevard. Après un laborieux processus administratif commencé en 1880, on lance un concours d’architecture en 1889 pour la remplacer. Il sera remporté par Jacques Hermant en 1890 et on commence la construction de la nouvelle caserne sur les terrains des anciens jardins et vergers du couvent ainsi que ceux de l’ancienne raffinerie de salpêtre (la Capsulerie de Guerre) qu’on a péniblement récupéré de l’État.
Le 21 décembre 1900, la Ville de Paris adjuge les travaux de démolition d’une partie des bâtiments de l’ancienne caserne. Le 10 janvier 1901, une délégation de la Commission du Vieux Paris visite les bâtiments pour voir ce qui est récupérable. Elle juge sans intérêt les restes du bâtiment construit dans les années 1840 le long de la rue de Sully. Sur une façade de l’ancien couvent, elle note un beau fronton triangulaire de style Régence daté de 1730. Elle déplore la disparition du plafond peint du grand escalier de 1682, qui était de Bon Boullogne (1649-1717) et qui représentait Saint-Pierre de Morron enlevé par les anges. On savait qu’il existait encore dans les années 1870. La Commission note aussi côté boulevard des vestiges sculptés qui semblent dater d’Henri II (1519-1559).
[Ci-dessus, le fronton triangulaire de style Régence daté de 1730, photographié en 1901.]
[Ci-dessus, la situation du fronton de 1730 est signalée en rouge, celle du grand escalier de 1682, en vert.]
Je ne sais pas ce qui a été sauvé, probablement fort peu, peut-être la rampe en fer forgé XVIIe du grand escalier.
Pour le déménagement en octobre 1903, les gardes du Petit-Musc n’ont eu qu’à traverser le boulevard Henri IV pour rejoindre leurs nouveaux quartiers.
En 1904, ce qui demeurait du grand couvent des Célestins a été détruit et les terrains ont été vendus à des promoteurs privés, tout en réservant un prolongement à la rue des Lions Saint-Paul (rue Jules Cousin).
[Ci-dessus, démolition des derniers bâtiments de l’ancien couvent en janvier 1904, côté boulevard Henri IV.]
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Références. Carnavalet, tirage CARPH000930 (numéroté 541) [daté 1872-1877]. BHVP, pas de négatif au Catalogue des bibliothèques municipales spécialisées.
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Percement du boulevard Henri IV :
Boulevard Henri IV, de la rue de Sully, 1876
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Auteur(s) de la notice : Laurent Gloaguen.
Publié initialement le samedi 11 janvier 2014.
Dernière mise à jour le dimanche 4 mai 2014.
Article classé dans : Charles Marville > Vues du Vieux Paris.
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