Fontaine du Faubourg Saint-Martin, modèle 2, c. 1875

Charles Marville : Fontaine de la rue du Faubourg Saint-Martin

Fontaine de la rue du Faubourg Saint-Martin, Paris Xe. Circa 1875.

Version haute définition : 2000 x 2589 pixels.

Photographie de la collection « Édicules établis sur la voie publique et dans les promenades de Paris », présentée à l’Exposition universelle de 1878.

Fontaine en fonte “Enfant au cygne et naïades”, 1846, attribuée au sculpteur Marie-Auguste Martin (1828-1910). Mention visible sur le socle : “Rambuteau Préfet de la Seine”.

89, rue du Faubourg Saint-Martin, à côté de l’entrée du passage du Désir.

En 1841, un groupe de propriétaires de la rue du faubourg Saint-Martin a lancé une souscription pour construire 30 fontaines le long de la voie, 15 de chaque côté, faites sur deux modèles différents. Elles furent inaugurées, ainsi que des urinoirs et des lampadaires, en 1849.

En 1900, seules 15 existaient encore. De nos jours, il n’en existe plus qu’une, la fontaine du modèle “Enfant au dauphin et tritons” qui était au n° 177. Elle a trouvé refuge au jardin Villemin dans le Xe et a été inscrite à la liste des Monuments historiques par arrêté du 15 avril 1970. C’est la seule des 30 fontaines du faubourg qui ait survécu.

18. — Rapport présenté par M. Lucien Lambeau, au nom de la première Sous-commission, sur la question des fontaines monumentales du faubourg Saint-Martin.

M. Lucien Lambeau présente le rapport suivant :

Messieurs,

Par une lettre, en date du 21 mars 1900, M. le directeur des services municipaux d’Architecture a saisi la Commission du Vieux Paris de la question des fontaines monumentales du faubourg Saint-Martin.

Depuis longtemps déjà la suppression de ces édicules avait été demandée à l’Administration par quelques habitants du quartier. C’est ainsi qu’en 1895 l’affaire fut mise à l’étude par les services compétents et fut classée, à la suite d’un avis défavorable émis par le Comité des inscriptions parisiennes, dans sa séance du 24 décembre 1895.

La question ayant été de nouveau reprise par l’Administration, les habitants de la rue, divisés sur le point de la conservation ou de la suppression, les uns pour, les autres contre, n’hésitèrent pas à porter leurs doléances devant le Conseil municipal, qui renvoya l’affaire pour avis aux services administratifs de la Ville.

Les services compétents sont, dans l’espèce, la direction des Travaux, pour la question des eaux et la direction des services d’Architecture pour celle des édicules sur la voie publique.

On remarquera, cependant, que le service des Eaux, dans la question qui nous occupe, ne vient qu’en deuxième ligne; il n’est, en effet, que très peu en cause puisqu’il s’agit d’une question de monuments sur la voie publique. Il ne paraît pas, à la vérité, très sympathique à la conservation puisqu’il trouve « que ces fontaines présentent peu d’utilité pour les riverains » et qu’il propose de les remplacer purement et simplement « par cinq bouches de lavage et quatre bornes-fontaines ».

En ce qui concerne le service d’Architecture, dans le domaine duquel se trouvent les édicules dont il s’agit, il est au moins aussi catégorique que le service des Eaux :

« Il estime que les fontaines susvisées, tombées dans un état notoire de délabrement, sont peu intéressantes au point de vue artistique, qu’elles ne constituent plus guère qu’un objet d’encombrement sur les trottoirs d’une voie où la circulation est des plus difficiles, et qu’il serait préférable de les supprimer en totalité, ou bien, si l’on veut conserver le souvenir historique qui s’y rattache, de n’en conserver que quelques-unes qui seraient choisies parmi les moins abîmées, restaurées complètement et placées de la façon la moins gênante sur les trottoirs. M. l’architecte des Promenades ajoute que la restauration de ces fontaines nécessiterait, une dépense de 30,000 francs, beaucoup trop élevée pour être supportée par les crédits du service. »

Telle est, Messieurs, l’état de la question au moment où M. le directeur des services municipaux d’Architecture, saisi en dernier ressort de l’affaire, vient demander l’avis de la Commission du Vieux Paris avant de soumettre ses conclusions à M. le Préfet de la Seine, conclusions qui seront probablement celles proposées à la Commission, savoir : « Maintien de quatre seulement de ces fontaines, qui ne sont plus intéressantes qu’au point de vue du souvenir. »

Nous avons voulu nous rendre compte de l’état exact de ces petits monuments qui eurent, à leur apparition, la vogue si extraordinaire que nous racontons plus loin.

Sans doute, il serait puéril de les comparer aux productions plus ou moins artistiques que l’on peut admirer de nos jours et qui, sous la forme de candélabres, de fontaines et autres édicules, ornent nos voies modernes, encore que beaucoup ne soient pas non plus d’un heureux effet. Aussi ne sera-ce point sur le terrain de l’art que nous nous placerons pour en déplorer la disparition, mais bien sur celui du souvenir qui s’attache à l’ancienne physionomie de nos vieilles rues, physionomie qui tous les jours se modifie et disparaît sans grand profit, bien souvent —comme dans la question actuelle — pour l’amélioration générale de la cité.

Plusieurs de ces fontaines, ne sont pas, assurément, dans un parfait état de conservation : un bras manque au triton qui décore celle placée en face du n° 66 et l’enfant au dauphin, qui en orne une autre qui se trouve vers le n° 192, est également mutilé ; mais, en revanche, presque toutes les autres sont susceptibles de fournir encore une longue carrière.

Certainement l’artiste qui en a conçu le dessin et modelé les contours — un sculpteur du nom de Martin — n’a pas fait là une oeuvre bien remarquable, malgré le grand succès qu’elles obtinrent lors de leur édification; mais elles sont de leur temps, et ce temps, 1848, rappelle une des phases de l’histoire de Paris.

Elles représentent, en outre, un mouvement de l’opinion publique de toute une rue vers un idéal décoratif qui semble mesquin aujourd’hui mais qui eut cependant son heure.

Elles sont le produit, chose rare, d’une vaste et productive souscription recueillie chez les habitants de la rue pour l’embellissement même de cette rue.

La commande, la construction, l’édification en furent dirigées par ces seuls habitants sans que la Ville s’en soit occupée le moindrement.

Il y a certainement là un point d’histoire parisienne qui n’est point banal et qui mérite attention.

Il ne faudrait pas croire, d’un autre côté, qu’elles sont inutiles à la population. Pour se convaincre du contraire, il suffira de se rendre le matin dans le faubourg Saint-Martin, on les verra fonctionner presque sans arrêt et donner leur eau soit aux riverains, pour le lavage de leurs boutiques, soit aux marchands des quatre saisons, pour leurs fleurs, leurs légumes ou leurs poissons, soit aux voituriers ou aux cochers, pour leurs chevaux.

Le Service des eaux ne propose-t-il pas, d’ailleurs, si elles disparaissaient, de les remplacer immédiatement par d’autres d’un modèle plus nouveau.

On arguera peut-être, comme certains pétitionnaires, de l’encombrement de la voie publique. Nous répondrons à cela que le mouvement de la population du faubourg Saint-Martin est bien moins considérable que certaines autres voies que nous pourrions citer et qui sont autrement envahies par des édicules de toutes sortes.

On verra plus loin que ces fontaines qui, étaient primitivement au nombre de trente, furent de deux modèles différents.

L’un est surmonté d’un enfant jouant avec un cygne sur une vasque supportée par deux naïades.

L’autre est d’aspect à peu près semblable avec cette différence que l’enfant s’appuie sur un dauphin et que les naïades sont remplacées par deux tritons.

Nous avons exactement relevé la situation des quinze fontaines encore debout, nous en donnons ci-après la nomenclature avec l’indication de l’eau qui les alimente :

En face du n° 27 : Enfant au dauphin et tritons ; eau de source.
En face du n° 36 : Enfant au cygne et naïades ; eau de source.
En face du n° 64 : Enfant au dauphin et tritons ; eau de source.
En face du n° 69 : Enfant au dauphin et tritons; pas d’eau.
En face du n° 80 : Enfant au cygne et naïades ; eau de source.
En face du n° 89 : Enfant au cygne et naïades; eau de rivière.
En face de la gare de l’Est, au coin de la rue de Strasbourg (côté impair) : Enfant au dauphin et tritons ; eau de source.
En face du n° 158 : Enfant au dauphin et tritons; eau de rivière.
En face de la gare de l’Est (côté impair) : Enfant au cygne et naïades ; eau de nivière.
En face du n° 164 : Enfant au cygne et naïades ; eau de source.
En face du n° 177 : Enfant au dauphin et tritons ; pas d’eau.
En face du n° 192 : Enfant au dauphin et tritons ; eau de source.
En face du n° 207 : Enfant au dauphin et tritons ; eau de source.
En face du n° 252 : Enfant au cygne et naïades ; eau de rivière.
En face du n° 257 : Enfant au dauphin et tritons; eau de source.

Soit, au total, quinze fontaines au lieu de seize, comme l’indique l’état fourni par le service des Eaux, qui en désigne une que nous n’avons pas trouvée, en face du n° 100.

Nous placerons ici le résultat des recherches faites par nous sur les circonstances dans lesquelles furent édifiés ces groupes; il constituera la partie rétrospective de notre rapport.

À cette occasion nous rendrons hommage au distingué personnel du service des Archives du département de la Seine, qui a singulièrement facilité notre tâche dans la recherche des documents que nous analysons.

Les quinze fontaines monumentales encore existantes dans le faubourg Saint-Martin constituent ce qu’il reste de tout un ensemble décoratif qui causa, lors de sa réalisation, vers 1849, une véritable révolution dans le système d’aménagement des voies parisiennes.

L’initiative en revient tout entière à un habitant du quartier qui, frappé du mauvais état du pavé et du déplorable aspect général que présentait cette rue, l’une des plus importantes de la capitale, résolut d’en poursuivre l’embellissement par les seules ressources des propriétaires.

Les cotisations des riverains ne s’exercent plus guère maintenant que pour l’installation du pavage en bois au devant de leurs immeubles.

Nous n’avons pu trouver le nom de ce citoyen dans les pièces que nous avons consultées, non plus que dans les journaux de l’époque. Seule, l’Illustration parla de lui, mais se garda bien de le nommer, obéissant ainsi à une recommandation formelle dictée par une modestie que l’on comprendrait peu de nos jours.

Ceci se passait vers 1841.

Encore que la date soit peu éloignée et confine presque au Paris d’aujourd’hui, le fait de ce bourgeois de Paris, qui refuse toute publicité pour une action louable, est tellement loin de nous que la chose peut hardiment se classer dans le domaine du Vieux Paris.

Voilà donc notre citadin en campagne. Il adresse un mémoire à tous les propriétaires de la rue, mémoire dont les grandes lignes pouvaient se résumer par les quatre articles suivants :

1° Adoucir, au moyen de grands travaux de terrassement, l’escarpement de la chaussée ;

2° Construire de vastes trottoirs, sans interruption, depuis la porte Saint-Martin jusqu’à la barrière de La Villette ;

3° Remplacer par cent candélabres à gaz les vingt-quatre lanternes destinées, bien inutilement jusqu’alors, à l’éclairage de tout le faubourg;

4° Élever sur la ligne des candélabres, et en alternant avec eux, trente fontaines monumentales et trente bornes vespasiennes en fonte que le mémoire qualifiait d’une élégance remarquable.

Dans l’esprit du hardi novateur, ce système devait se compléter d’un service de cantonniers chargés de la propreté de la rue et d’un autre service de gardiens de nuit, dont la mission eût consisté à veiller pour la sûreté des habitants, à assurer la conservation des nouveaux monuments et à donner l’éveil en cas d’incendie.

Disons, avant d’aller plus loin, que la création de ces cantonniers et des gardiens de nuit ne fut pas sanctionnée par l’Administration et n’eut, par conséquent, pas de suite.

Entrant immédiatement dans le domaine de l’exécution, le zélé initiateur convoqua 300 propriétaires du faubourg Saint-Martin et obtint la nomination d’une Commission ayant comme président le maire de l’arrondissement, alors le cinquième, et chargée de s’entendre avec M. le Préfet de la Seine, comte de Rambuteau, pour la réalisation du projet.

Cette Commission prit le nom de Commission des embellissements du Faubourg-Saint-Martin ou, plus communément, celui de Commission des propriétaires du Faubourg-Saint-Martin.

De suite il fut décidé qu’un appel, par souscription, serait fait aux propriétaires et habitants de la rue et le bulletin suivant fut déposé dans toutes les maisons, à la disposition des souscripteurs :

MAIRIE DU CINQUIÈME ARRONDISSEMENT.

SOUSCRIPTION POUR L’ÉTABLISSEMENT DES FONTAINES ET DES URINOIRS.

Je soussigné m’engage à payer sur l’acquit de M. Eugène Griolet, trésorier de la souscription, et sur l’avis que m’en donnera, un mois d’avance M. Vée, maire du cinquième arrondissement, la somme de … pour ma part dans la cotisation faite par les propriétaires de la rue du Faubourg-Saint-Martin, à l’effet d’obtenir, pour cette rue, la pose des fontaines et des urinoirs dont les modèles sont déposés à la mairie.

Paris, le …

(Signature du souscripteur.)

Les conditions de cet engagement, il faut le dire, furent quelque peu draconiennes et les propriétaires, en l’acceptant, firent preuve d’une générosité à laquelle on était sans doute peu habitué, à cette époque où le roi Louis-Philippe donnait lui-même l’exemple d’une sage économie personnelle.

La base de la cotisation fut, en effet, fixée à 500 francs pour 10 mètres de façade.

La liste de souscription que nous avons sous les yeux donne les noms des propriétaires d’alors, avec le montant de leur imposition volontaire. Les sommes varient de 150 francs à 2,000 francs et souvent beaucoup plus, tel l’hospice des Récollets qui donne 5,000 francs, le presbytère, situé au numéro 123, qui verse 1,300 francs. Les frères de la Doctrine chrétienne, en raison de leur façade portant les numéros 163 et 165, sont taxés à 5,000 francs.

Cette dernière somme, à la vérité, ne fut pas versée, en raison du départ de la communauté, expropriée pour l’établissement de la gare du chemin de fer de Paris à Strasbourg. Le maire de l’arrondissement en fut avisé par une lettre signée du frère Philippe, supérieur général de l’Institut général des frères de la Doctrine chrétienne, datée du 15 février 1847.

Vers le milieu de l’année 1846, cependant, les choses subirent un certain ralentissement en raison du manque d’argent. Au déchet qui se produisit dans la recette des souscriptions, vint s’ajouter le manque de parole du fondeur des édicules.

Celui-ci s’était bien engagé par écrit à exécuter le travail pour le prix de 60,000 francs, mais il augmenta ses prétentions du double, prétextant que les modèles qu’on lui demandait étaient beaucoup plus riches que ceux du croquis fourni et alléguant aussi une augmentation sur les fontes. Il fallut s’adresser à d’autres industriels. Malgré des prix accommodants, une somme relativement considérable manqua néanmoins.

Un nouvel appel à la bonne volonté des propriétaires et habitants de la rue fut alors décidé.

Le 12 août 1846, une circulaire fut lancée qui était signée de M. Louis, adjoint au maire du Ve arrondissement, Debussy, vice-président de la Commission, Evette, membre, et Duthy, secrétaire.

Cette circulaire, en même temps qu’elle exposait les déboires relatifs aux fondeurs avait également pour but d’expliquer le fonctionnement des urinoirs et de rassurer les quelques propriétaires qui avaient manifesté une crainte pudibonde à l’occasion de cette innovation.

« Leurs craintes, y était-il dit, sont mal fondées à tous égards. »

« Ces urinoirs, y lisait-on encore, véritables monuments, qui réunissent à leur forme gracieuse des ornements choisis et exécutés avec goût, seront placés autant que possible en face les trumeaux des maisons et de préférence sur la partie des trottoirs qui font retour sur une rue. De cette manière, ils ne nuiront à personne et contribueront, au contraire, avec les élégantes fontaines, dont l’heureuse disposition est approuvée par tous les gens de l’art, à donner à cette belle voie une importance dont aucune des rues de Paris ne peut servir de comparaison. »

L’urinoir, on va le voir, joua un grand rôle dans ce nouvel appel de fonds, il fut la raison déterminante qui permit aux rédacteurs de la circulaire d’agiter aux yeux des propriétaires le spectre de l’immoralité :

« Rien, disait-elle, ne peut éloigner davantage les piétons du faubourg Saint-Martin, que ces habitudes de gens sans pudeur, qui s’installent devant les maisons et dans les encoignures des portes et laissent, sur toute la largeur des trottoirs, les traces de leurs ordures, qui répandent une infection pernicieuse dans cette saison. »

On était, en effet, au mois d’août. Elle ajoute plus loin :

« Nous voulons parler de ces misérables, dont l’incroyable cynisme va chercher précisément les vitres des boutiques pour faire preuve de leur dégoûtante immoralité. Par notre projet nous enlevons jusqu’au prétexte de semblables turpitudes. »

Au moment où fut lancée cette circulaire, les grands travaux de voirie étaient déjà commencés depuis quelques années; le Conseil municipal les vota dans sa séance du 31 mars 1843 et y consacra une somme d’environ 440,000 francs. L’Etat pour sa part ajouta à cette somme un crédit de 80,000 francs.

La montagne fut abaissée, de larges trottoirs furent construits sur une double ligne de deux kilomètres d’étendue. On planta, de chaque côté, une rangée d’arbres, depuis l’église Saint-Laurent jusqu’à La Villette ; le peu de largeur de la rue ne permettant pas de continuer ces plantations en descendant vers la porte Saint-Martin.

Cent candélabres, disent les journaux de l’époque, aussi élégants que ceux des Champs-Élysées, jalonnèrent la longueur du faubourg et l’éclairèrent mieux que ne le fut jamais la rue de la Paix et la rue Vivienne.

Ce fut assurément l’âge d’or du vieux faubourg !

En ce qui concerne la contribution des propriétaires, elle s’éleva à environ 90,000 francs et fut employée de la façon suivante :

Aux fondeurs, 70,000 francs.

Au sculpteur Martin, chargé de l’exécution des modèles des fontaines et vespasiennes, 8,000 francs.

Pour les socles en granit des urinoirs, 4,800 francs.

Pour la peinture, 4,500 à 5,000 francs et enfin, pour les travaux intérieurs des urinoirs, 3,000 francs.

Les modèles furent exposés dans la cour de la mairie de l’arrondissement où tous les citoyens purent juger de l’effet que ces monuments produiraient après leur installation.

Nous devons ajouter, en ce qui concerne ces édicules, que les travaux furent entièrement dirigés par la Commission des embellissements du faubourg Saint-Martin et que la ville de Paris resta complètement en dehors. Sa seule intervention fut une cotisation de 12,000 francs, votée en 1849, pour la fonte des fontaines et urinoirs. Elle ne consentit même à donner gratuitement l’eau qui devait les alimenter, nous parlons des fontaines, qu’à la condition formelle qu’elles deviendraient sa propriété.

L’enthousiasme fut grand dans la presse dès que les travaux furent terminés. Les embellissements du faubourg Saint-Martin furent chantés avec un lyrisme qui étonnerait sans doute aujourd’hui le Parisien moderne, habitué à d’autres splendeurs.

L’Illustration en reproduisit tous les détails et annonça à ses lecteurs que certainement le faubourg dont il s’agit, après les innovations apportées, serait « comparable à la voie Appienne dont les ruines sont encore aujourd’hui si grandioses ».

Le Courrier français attribua aux nouvelles fontaines le pouvoir de faire comparer Paris à la plus belle ville connue :

« L’effet qu’elles produiront dans le faubourg, qui forme une des grandes entrées de Paris, annoncera d’une manière grandiose la plus belle et la plus riche capitale du Monde. »

Le Moniteur, organe officiel, en donne la description suivante, dans son numéro du 14 août 1849 :

« Les urinoirs :

« Sur un socle en granit, six colonnes d’ordre composite, avec chapiteaux et ornements dorés forment un demi-cintre dont le haut est surmonté par un écusson aux armes de la Ville ; ces six colonnes, séparées entre elles par des têtes de chimères, supportent un dôme au centre duquel est un Thurifère orné de guirlandes, également dorées et en font une petite rotonde dont l’élégance, un peu outrée peut-être, dissimule du moins ce que la destination a de vulgaire.

« Quant aux groupes ou fontaines, ils sont faits sur deux modèles différents mais de style analogue et semblables, quant aux dimensions ; d’une part deux tritons adossés à une colonne torse dont la base repose sur un énorme coquillage d’où sort une tortue, portent sur leurs épaules une vasque sur laquelle un jeune pêcheur accroupi admire une branche de corail qu’il vient de retirer de la mer, tandis qu’à sa droite, comme à sa gauche, sont ses filets et les poissons pris.

« L’autre groupe, tout aussi gracieux que son pendant, porte sur sa vasque un cygne et un enfant entouré de nombreux coquillages et faisant miroiter à ses yeux une huître perlière.

« Sur les pans coupés du piédestal des deux groupes on lit ces quatre inscriptions :

« Souscription des propriétaires du faubourg Saint-Martin. — 1846.

« Association fraternelle des ouvriers fondeurs. — 1848.

« M. de Rambuteau, préfet de la Seine. — 1846.

« Martin, inventit et sculpsit. »

Une légende du quartier attribue aux Ateliers nationaux la construction seule des fontaines. Peut-être cette légende a-t-elle pris naissance dans ce fait qu’elles furent fondues en 1848. L’inscription qu’elles portent et qui est relative à l’Association fraternelle des ouvriers fondeurs vise probablement une société ouvrière de production comme il dut en exister beaucoup à cette époque.

À ceux qui s’étonneront des dithyrambes des journaux d’alors et de l’enthousiasme des habitants, nous répondrons que le style Louis-Philippe sévissait encore à ce moment et avec lui toutes ses formules artistiques, parmi lesquelles il faut citer, pour le cas seul qui nous occupe, la substitution de la fonte de fer au bronze.

Tels qu’ils étaient, ces édicules firent l’admiration de ceux qui les édifièrent et suffirent à leur bonheur.

C’était leur droit :

« On n’a que le style que l’on mérite! »

L’Inventaire général des oeuvres d’art de la ville de Paris, publié en 1878, ne contient que fort peu de renseignements. On y trouve que les vingt-huit édicules, ainsi que le constate l’inscription gravée sur le piédestal, ont été élevés en 1848 au moyen d’une souscription publique ouverte dans le quartier. Comme description, ce document mentionne que ces fontaines se composent chacune d’un piédestal à pans coupés de forme oblongue, en fonte, posé sur une plinthe en granit. Le piédestal supporte un groupe de deux figures assises, reliées par des guirlandes de feuilles d’eau et adossées à un piédouche orné qui supporte une fausse vasque ovoïdale.

« Ces groupes, dit le document officiel, représentent alternativement des tritons et des naïades. Un enfant accroupi au milieu d’ustensiles de pêche et jouant avec un oiseau aquatique, domine l’ensemble de la fontaine. Le piédestal est décoré, dans le sens de sa longueur, des armes de la Ville, et sur les pans coupés, d’inscriptions rappelant que ces fontaines, faites par l’Association fraternelle des ouvriers du bronze, en 1841, sous l’administration de M. le comte de Rambuteau, préfet de la Seine, sont le produit d’une souscription des propriétaires du faubourg Saint-Martin. Dans le sens de sa longueur, le piédestal présente également deux mascarons à têtes de dauphins, accompagnés de rinceaux ; celui qui est situé vis-à-vis du trottoir laisse échapper l’eau dans une grille à fleur du sol. »

Il nous faut, en passant, regretter le silence que garde le document municipal, sur le sculpteur Martin, auteur du modèle de ces édicules.

Le tout étant terminé en 1849, la Commission des embellissements ne voulut pas se dissoudre avant qu’une inauguration fût faite des travaux élaborés par elle. Une grande fête fut décidée qui devait naturellement avoir lieu dans le quartier et que devait compléter un banquet composé des principaux notables de l’arrondissement.

Comme pour les fontaines et les urinoirs, il fut décidé que le banquet et la fête seraient le produit d’une souscription.

Nous ne savons s’ils réussirent : quelques habitants, sans doute, trouvèrent obsédante cette période de souscription que traversait leur quartier et refusèrent de payer. Nous avons sous les yeux une lettre émanant de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Strasbourg, datée du 25 septembre 1849 dans laquelle le directeur de cette administration refuse catégoriquement de souscrire à la fête projetée.

Il est un lieu commun qui prétend, qu’en France, tout finit par des chansons ; les fontaines du faubourg Saint-Martin ne devaient pas y échapper.

En voici plusieurs extraits qui se chantèrent probablement en quelques coins du vieux faubourg et qui sont tirés du Recueil des chansons de J.-H. Lemoine, édité à cette époque :

Grand manifeste en réjouissance des bornes et des fontaines du faubourg Saint-Martin, louanges et félicitations adressées en choeur à l’ex-préfet de la Seine par la joyeuse jeunesse parisienne.

Première ronde, chantée et dansée autour de ces petits monuments sur l’air : Ah! le bel oiseau, maman :

Refrain.

Viv’ le comt’ de Rambuteau,
Pour les born’s et les fontaines.
Viv’ le comt’ de Rambuteau,
Grâce à lui nous avons l’eau.

Sous l’ancien Gouvernement,
Le corps des propriétaires
A fait un rassemblement
Pour des voies plus salutaires.

Viv’le …

Depuis la porte Saint-Martin
Jusqu’à la Grande-Villette,
On chante ce gai refrain,
Même en roulant la poudrette.

Viv’le …

Du faubourg les habitants
Sont fiers de dire, après boire :
Souvenez-vous, mes enfants,
Que ce comt’ vivra dans l’histoire.

Viv’ le …

Nous ne résistons pas à la tentation de donner encore un extrait d’une autre chanson qui, quoique d’un rythme différent, semble être le complément de la première :

Appel à tous les citoyens de la capitale, aux nouvelles fontaines du beau faubourg Saint-Martin, dont le pouvoir magique et puissant de cette eau merveilleuse est reconnu seul unique et sans pareil.

Deuxième ronde, chantée sur l’air des Bohémiens de Paris, musique d’Artus :

Refrain.

V’nez aux fontaines,
Accourez tous soir et matin,
L’eau de ses fontaines
Est un nectar souverain.
Avez-vous des peines,
Courez aux fontaines
Du beau faubourg Saint-Martin.
Non, plus de peines,
Venez aux fontaines
Du beau faubourg Saint-Martin.

Nous avons dit, au commencement de ce rapport, que quinze fontaines sur trente, étaient encore en place. Que devinrent les autres, et à quelle époque disparurent-elles ?

Elles s’émiettèrent sans doute, faute de soins, les unes après les autres, et furent probablement jetées à la ferraille.

La Commission du Vieux Paris souhaitera, certainement, un autre sort à celles qui restent.

Quant aux urinoirs, sur la destinée desquels nous ne saurions nous apitoyer en raison de la question d’hygiène publique qui s’attachait à leur remplacement, ils disparurent aussi les uns après les autres, il n’y a pas bien longtemps, et firent place à des modèles successifs dont la description n’entre pas dans le cadre de notre rapport.

Les candélabres, enfin, qui en leur temps donnèrent, on l’a vu, au faubourg Saint-Martin, l’apparence de la rue de la Paix, de la rue Vivienne et même des Champs-Elysées, durent se retirer humblement devant le nouveau modèle imposé par la municipalité à toutes ses rues.

Il ne reste donc de cet ensemble décoratif qui, il y a un demi-siècle, sortit de la bonne volonté et de la bourse des habitants et qui fut propre à une seule rue de Paris, que les quinze fontaines que nous avons relevées.

La Première Sous-commission a pensé qu’elle ne pouvait mieux faire que d’adopter les propositions de l’Administration, c’est-à-dire la conservation seulement de quatre de ces fontaines, deux de chaque modèle, qui seraient alors soigneusement réparées et restaurées.

Paris, le 29 mai 1900.

Lucien Lambeau.

[Procès verbaux de la Commission municipale du Vieux Paris.]

Position estimée

  • 1. Le 1 juillet 2015,
    angharad

    magnifique ! je découvre votre site. quel travail ! bravo, c'est passionnant. Merci beaucoup