Immeuble en tenue de bombardement, 1918

Immeuble 1, rue Danton, Paris VIe. 1918

Au 1, rue Danton, Paris VIe. Immeuble en “tenue de bombardement”, 1918.

Version haute définition : 2759 x 2000 pixels.

On notera l’affiche “Abri” au numéro 3 de la rue Danton.

Le nombre des vitres brisées à Paris par le dernier bombardement est important. En dehors du rayon d’explosion où éclats et matériaux volent, où l’air agit en coup de poing, la zone de moindre danger dans laquelle les verres cassent cependant par vibrations et vibrations de vibrations — car dans ces moments-là les verres sont comme les hommes et se communiquent leurs fièvres — est souvent très étendue. On m’apprend qu’en Belgique et à Londres les gens de précaution collent des bandes de papier de 5 centimètres de large, en long et en travers des vitres.

Ainsi fixé, le papier freine les vibrations. Cette pratique, fort explicable, aurait donné de bons résultats. Elle est donc à étudier et, lorsqu’on en aura pesé les inconvénients, peut-être à généraliser.

Ces verres sont rares, ces verres sont chers. C’est l’État qui paye ces verres. L’État, c’est nous, et une précaution ne saurait être mal venue qui nous empêcherait, en dépit d’un proverbe que les événements ont rendu bien malade, de payer des verres que nous n’aurions pas cassés.

Louis Forest.

[Le Matin, 7 février 1918.]

Il y a un mois, les premiers gothas venus, estimant qu’une bombe pourrait tomber à un endroit d’où l’explosion soufflerait sur Paris une trombe d’air, j’indiquais un procédé dont, à Londres et en Belgique, se servent les hommes de précaution. Ils collent sur les vitres, tout autour et en diagonale, de longues bandes de papier de trois, quatre, cinq centimètres de large.

Ainsi armées, les vitres résistent mieux à la pression et, arrêtés dans leur élan, les éclats volent moins loin. Quelques Parisiens ont commencé à écouter le conseil. Le procédé n’est pas, bien entendu, un remède absolu. Même avec papier, un verre reste verre et ne résiste ni à une secousse brutale ni à un bombardement continu. Néanmoins, l’expérience le prouve, bien des accidents peuvent être ainsi évités.

Aux époques de tir sur nos cuirassés, le procédé a évité nombre de notes de vitriers.

On m’a reproché d’avoir écrit que ce procédé des bandes de papier était usité en Belgique et à Londres, alors qu’il est aussi bien connu de nos villes du front.

Oh ! il est même connu à Paris ; le Journal des Goncourt raconte que, sous la Commune, les Parisiens l’utilisaient. Si j’ai préféré indiquer qu’il nous vient de l’étranger, c’est parce que j’ai pensé qu’ainsi il serait plus favorablement accueilli chez nous.

Louis Forest.

[Le Matin, 18 mars 1918.]

Les deux écoles.

Aux personnes prudentes qui collent des bandes de papier en croix sur leurs carreaux pour en assurer la solidité, on a recommandé de laisser un écart entre les extrémités de la bande et le cadre où est fixée la vitre. Mais voici que d’autres personnes nous écrivent : « Non ! la bande de papier doit rejoindre le cadre ! »

Et l’on nous cite l’exemple de Dunkerque. Il paraît qu’à Dunkerque, la bande de papier va jusqu’au cadre, et que cette règle est soigneusement observée par tout le monde.

Qui a tort ? Qui a raison ? nous demandons aux spécialistes leur avis.

[Le Figaro, 25 mars 1918.]

Pour éviter le bris des glaces et vitres

Le ministère de l’Armement nous communique la note suivante :

« En raison de la difficulté de remplacer actuellement et rapidement les vitres brisées, en particulier pour les devantures de magasins en glaces polies, il est expressément recommandé au public de prendre toutes les précautions possibles en vue de diminuer les chances de casse de verre.

« La meilleure des précautions consiste à tenir les fenêtres ouvertes. Dans le cas où cela n’est pas possible, il est reconnu que les bandes de papier mince (de 3 ou 4 centimètres de largeur) collées en diagonales sur les vitres ou carreaux diminuent beaucoup le risque de casse dans les cas de déplacement d’air provoqués par des explosions.

« Une condition essentielle est que les bandes de papier soient collées soigneusement de manière à être bien adhérentes au verre et qu’elles soient absolument continues. »

[Le Petit Parisien, 30 mars 1918.]

Ils bombardent. Pour essayer de sauver leurs vitres, les Parisiens les arment, à l’intérieur, de bandes de papier, de rubans. Suivent-ils tous les principes ? On en doute. Les bandes, disent les experts, doivent se tenir et, de proche en proche, aboutir à un cadre.

Ainsi, lorsque la poussée n’est pas trop directe, les vibrations brisantes sont atténuées… Mais, si tous ne sont pas pratiquement habiles, tous essayent de flatter le regard. Le goût de l’art, le besoin de rendre plaisant, s’affichent à toutes les fenêtres. On rencontre, en bandes de papier, des dessins charmants, adaptés à la vitrine, au commerce, à l’élégance. Boum ! Un qui éclate pas loin… « Oui, oui, mon vieux. On pense à toi. Tu fais tant de pétard. » Mais sur l’échelle, derrière la vitre, les doigts dans la colle, ses rubans sur l’épaule, la midinette, après une pensée au danger, une autre à ceux qui, peut-être, sont atteints, songe qu’il faut faire joli.

Louis Forest.

[Le Matin, 8 avril 1918.]

LA PRÉCAUTION INUTILE

Les bandes de papier sur les vitres

Des expériences récentes démontrent qu’elles ne servent à rien

Certes, la question de savoir à quoi servent les bandes de papier que les Parisiens ont collées sur leurs vitres n’est pas d’un très gigantesque intérêt à côté des grands problèmes qui, ce jourd’hui, agitent le monde. Mais elle n’en a pas moins une certaine importance pratique, étant donné que la plupart des Parisiens — avec une unanimité qui prouve que l’union sacrée se pratique au moins dans la vitrerie — ont armorié leurs fenêtres de papier pour les protéger, pensaient-ils, contre l’effet brisant des projectiles des berthas et autres gothas. Et puis la pensée ne peut pas perpétuellement planer dans l’épopée et la tragédie ; elle finirait par s’écheveler et se fatiguer. Il sied de temps en temps de la poser sur des objets plus terre à terre et moins vertigineux. Un peu d’Odyssée apaise après beaucoup d’Iliade. C’est à ce titre que je voudrais signaler à mes lecteurs les très curieuses expériences que vient de réaliser la direction des inventions sur le prétendu effet protecteur des bandes de papier.

Sur l’initiative de M. J.-L. Breton, la section de physique des inventions a procédé, il y a quelques jours, sur ce point à des essais systématiques nombreux et bien conduits dans un champ de tir des environs de Paris.

Les membres de cette section de physique sont des savants éminents et exercés, et encore que leur modestie ait exigé d’être pudiquement drapée par moi dans le voile timide de l’anonymat, je puis bien dire qu’ils offrent toutes les garanties au point de vue de la confiance qu’on peut accorder à leurs constatations… et il faut avouer que celles-ci sont bien curieuses, bien inattendues.

Ils ont donc fait exploser à de nombreuses reprises, au voisinage de bâtiments dont Ia moitié des vitres étaient nues et l’autre moitié couvertes de bandes de papier (et cela de manière que les unes et les autres fussent alternées et disposées symétriquement), des charges variables d’explosif. Celui-ci était un explosif bien connu : le tétryl, et on s’arrangeait de manière qu’il explosât sans projeter d’éclats, pour ne point briser les vitres par choc, mais seulement par le souffle de l’explosion.

Le papier employé était du papier fort, gommé, de 38 millimètres de large, du type vendu couramment en rouleau pour la protection des vitres. Il était, dans les diverses expériences, tantôt collé en diagonales, tantôt en lignes verticales et horizontales, tantôt en étoile à huit branches.

Or, le procès-verbal détaillé de ces expériences que j’ai sous les yeux et dont il serait trop long d’indiquer ici toutes les données, établit avec netteté et sans conteste possible la conclusion suivante :

Dans aucun cas, les bandes de papier collées sur les vitres n’ont manifesté une protection quelconque. Dans toutes les expériences, le nombre des vitres cassées a toujours été aussi grand parmi les vitres munies de bandes que parmi les vitres nues. Il n’a jamais été possible, même avec de très faibles explosions, d’arriver à briser les vitres nues en respectant les vitres protégées.

En résumé, aucun effet de protection n’est dû au papier, et cela quelque soit la disposition des bandes collées sur les vitres.

Voilà une conclusion bien inattendue. Elle intéresse à la fois les psychologues, les journalistes, les physiciens et les vitriers. Les psychologues : car il serait bien amusant de rechercher comment est né, comment s’est propagé et comment a fini par être admis sans conteste… et sans fondement, le préjugé que démolissent ces expériences. Les journalistes : car il y a une certaine crise du papier qui a assez gêné la presse et que le collage généralisé des bandes sur les carreaux n’a pas peu contribué à aggraver. Les physiciens car ces expériences établissent définitivement que l’effet d’une explosion qui brise les vitres ne se traduit nullement, comme on l’a cru, par des sortes de vibrations de celles-ci, vibrations que le papier amortirait, mais bien par un souffle brusque qui agit comme un choc unique. Les vitriers enfin, qui n’ont pas vu sans terreur se généraliser cette précaution des bandes de papier qui, si elle eût été efficace, eût quelque peu ralenti leur commerce. Les voilà rassurés.

D’ailleurs, malgré tout cela, je ne conseille pas aux gens qui ont garni de bandes de papyrus leurs carreaux de les enlever, d’abord parce qu’elles sont souvent d’un joli effet esthétique et donnent à beaucoup de maisons lutéciennes une petite allure de cottages anglais très « entente cordiale » ; ensuite parce que si les bandes n’empêchent pas les vitres d’être brisées par une explosion voisine, elles en empêcheront souvent les éclats d’être projetés dangereusement sur les habitants.

La principale victime en tout cela est en somme un préjugé qui eut du succès :

Et comme il eut l’éclat du verre, Il en a la fragilité.

Il est vrai qu’un certain proverbe avait été déjà fortement démenti par les bris de vitres bertha-gothiques : c’est que qui casse les verres les paye.

Qu’on m’excuse d’avoir, par ces temps féconds en balistique, en stratégie et en tactique, parlé de cette modeste question de vitrerie. Mon excuse, c’est que nos vaillants chasseurs s’appellent toujours dans le peuple les « vitriers ». Et cela suffit donner une petite allure militaire à cette affaire de carreaux, qui devient presque ainsi une affaire de cœur.

Charles Nordmann.

[Le Matin, 9 juillet 1918.]

Position estimée

  • 1. Le 9 octobre 2013,
    TDM

    Très croustillante cette petite "anecdote" :)

    Et la photo, magnifique ! Seul regret : qu'il n'y ait pas plus de monde dans la rue. Mais vu le contexte, je passerais l'éponge...

  • 2. Le 11 octobre 2013,
    Denys

    Le 1 rue Danton, un immeuble ? Non, une première mondiale : le premier immeuble construit en béton par Gustave Hennebique, grand pionnier du genre : http://fr.structurae.de/structures/...

    Malheureusement desservi par une architecture imbécile, néo-haussmannien finissant. La vraie révolution arrivera un peu plus tard, avec le 25 bis rue Franklin des frères Perret.