Commissionnaire, 1899

Eugène Atget : commissionnaire

Commissionnaire. Paris. Vers 1899.

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Le commissionnaire est une figure omniprésente de la rue parisienne du XIXe siècle. Il monte à votre étage vos objets lourds, paquets, sacs, malles, bagages… Il sert aussi de messager pour porter une lettre ou un colis dans le quartier. Et bien sûr, il peut faire vos courses.

Le commissionnaire est souvent auvergnat et presque toujours barbu. Il est généralement considéré comme un homme de confiance.

Si avez besoin d’un commissionnaire, rien de plus aisé, il suffit d’aller au marchand de vins le plus proche, il y a presque toujours un commissionnaire adossé à la boutique ou à l’intérieur. S’il est à l’intérieur, il laisse à l’extérieur ses crochets — nom, toujours au pluriel, donné à l’instrument formé de montants qui s’adaptent sur le dos, et d’une sellette perpendiculaire aux montants, permettant le portage de fardeaux — pour manifester sa présence et disponibilité.

Jules Janin note dans les années 1830 :

Quand vous avez évité le regratteur et l’eau qu’il jette de côté et d’autre, vous tombez d’ordinaire devant le commissionnaire du quartier. Le commissionnaire du quartier est le plus souvent un épais gaillard à la vaste poitrine, aux larges épaules, à la barbe noire ; on sent, à le voir, que c’est un homme à son aise qui ne doit rien à personne, à qui on doit beaucoup, et qui n’est pas sans avoir quelque bonne réserve pour les mauvais jours. Le commissionnaire du quartier, c’est notre domestique à nous tous ; il est de toutes les maisons, il entre et il sort à volonté. Il est le fidèle et digne dépositaire de plus d’un petit secret qu’on lui paierait bien cher ; mais, à aucun prix, il ne vend le secret de personne. Du reste, il est indépendant comme un domestique qui appartient à plusieurs maîtres ; actif, infatigable, sobre, patient, curieux, mais curieux en dedans et pour lui seul, toujours prêt à se mettre en route, toujours prêt à obliger, et obligeant avec le même zèle soit les affaires, soit les amours. Une rue de Paris ne serait pas complète si elle n’avait pas son commissionnaire à elle, à côté de son épicier et de son marchand de vin.

[Jules Janin, Les Petits Métiers, 1833.]

La profession disparaît au début du XXe siècle, supplantée par les ascenseurs, les livreurs, les cyclistes (coursiers) et les “pneus” (courrier pneumatique). Léautaud note en 1906 :

Il est même à craindre qu’un jour le Parisien ne puisse plus dire qu’il vit dans le pays de ses pères, tant on l’aura changé du tout au tout. Les mœurs aussi s’en mêlent, et il n’est pas jusqu’à certains petits métiers bien parisiens, les, derniers qui avaient résisté, qui ne disparaissent petit à petit, comme les décrotteurs et les commissionnaires, en attendant le tour des allumeurs de becs de gaz, ce qui ne tardera pas.

[Paul Léautaud, Le Paris d’un Parisien, 1906.]

Crochets de commissionnaire

Sur ce détail de la photo de la rue des Fourreurs par Marville (1865), nous voyons deux crochets de commissionnaire et une boîte de décrotteur sur la façade de la maison Mazin, commerce de vins (au 1, place Sainte Opportune). Telles des enseignes temporaires, les crochets signifient ici au passant qu’il y a deux commissionnaires dans l’établissement, ou à proximité, prêts à vous servir.

LE COMMISSIONNAIRE.

L’honnêteté même que cet enfant des montagnes de l’Auvergne. Comme le frotteur d’appartement son cousin, il jouit de la confiance générale. Il n’y a pas d’exemple d’un médaillé infidèle.

Le commissionnaire est d’habitude très jeune ou très vieux, mais c’est la même fidélité impeccable. Et quelle candeur chez le jeune, qu’il porte l’épître incendiaire, la lettre de rupture ou le rendez-vous d’amour : « Mon chat chéri, je t’attends devant chez Marguery à sept heures et je te mange d’avance ; » ou encore la lettre de chantage : « Remettez cinq cents balles au porteur ou je dis tout ! »

Insensible aux œillades de la bonne que sa fraîcheur unie à sa carrure émoustille, il reste pur des souillures de la rue. Quand il aura amassé un petit pécule, il ira retrouver quelque payse de là-bas, et fera souche d’honnêtes gens.

Parfois, pourtant, comme chez les cochers de fiacre, mais plus rarement, le commissionnaire est un déclassé.

[Notice par Roger Portalis dans Paris qui crie : petits métiers, 1890.]

Datation de la prise de vue : vers 1899.

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