Théâtre de la Gaîté, 1862

Théâtre de la Gaîté, boulevard du Temple

Théâtre de la Gaîté, boulevard du Temple, Paris XIe. 1862.

Version haute définition : 2400 x 2295 pixels.

Mentions lisibles : “Théâtre de la Gaîté” - “Fondé en 17(59) par J.B. Nicolet” - “Reconstruit en 1808” - “Incendié le 21 février 18(35)” - “Réédifié en fer la même année” - “Entrée des billets de location” - “Café de la Gaîté” - “Le Canal St Martin”.

Le Canal Saint-Martin est un drame en cinq actes et sept tableaux de MM. Dupeuty et Cormon, représenté à Paris pour la première fois au Théâtre de la Gaîté, le samedi 12 juillet 1845.

Comme nous l’avons déjà vu avec l’Ambigu, les théâtres mettaient en façade une grande toile peinte représentant la scène la plus symbolique, généralement la plus dramatique, de la pièce qui était jouée. La toile montre ici un groupe de personnages avec, en arrière-plan, un pont du canal Saint-Martin (je n’ai hélas pas trouvé la gravure correspondante).

La colonne à gauche est un urinoir, une “colonne Rambuteau” surmontée de son bilboquet.

D’importants travaux de terrassement sont en cours. C’est l’œuvre du baron Haussmann qui avance, avec l’ouverture du boulevard du Prince Eugène (boulevard Voltaire), de l’avenue des Amandiers (boulevard de la République) et l’agrandissement de la place du Château d’eau (place de la République).

L’immeuble de droite semble entièrement fermé, ses occupants ont dû déjà être expropriés. Les matériaux sont récupérés et classés : pierres, pavés, tuyaux de plomb… La boule noire au sol est celle qui coiffait un autre urinoir qu’on vient de détruire. On prépare le terrain qui va accueillir l’immeuble qui se trouve aujourd’hui au coin du boulevard Voltaire et du boulevard du Temple, ce qui implique le déplacement de l’égoût du boulevard du Temple.

Cette photographie n’est pas datée. Le Metropolitan Museum Of Art qui la possède indique “circa 1855”.

Elle date, de toute évidence, de juillet 1862 et possiblement du mardi 15 juillet.

Le photographe voulait probablement documenter cette journée historique qui signait la disparition du “boulevard du Crime” et la perte de ses théâtres : le Théâtre Lyrique, le Théâtre Impérial du Cirque, les Folies-Dramatiques, la Gaîté, et des petites salles comme les Funambules de Deburau, le Petit-Lazari et les Délassements-Comiques, tous expropriés par la ville et tous devant fermer définitivement le 15 juillet 1862 à minuit.

50 ans plus tard, en 1912, un amateur de théâtre évoque cette “journée dramatique” :

S’il est estimable de célébrer le présent, il est convenable de ne pas laisser le passé tomber dans l’oubli et, le 15 de ce mois, dans trois jours, il y aura un cinquantenaire théâtral fameux à signaler aux Parisiens.

Le 15 juillet, en effet, il y aura juste cinquante ans que fut démoli le Boulevard du Crime.

Le 15 juillet 1862, à minuit, d’après le décret du baron Haussmann, sonnait le glas de tous ces théâtres qui furent la joie et la vie de Paris.

On peut se rendre compte de l’emplacement qu’ils occupaient en traçant une ligne idéale qui partirait du coin du faubourg du Temple, un peu en avant, couperait le terre-plein situé en face du Café Américain, dans la partie nord de ce terre-plein, passerait devant l’entrée du boulevard Voltaire, couperait le pâté de maisons qui fait l’angle du boulevard Voltaire et du boulevard du Temple et viendrait se terminer au 48 du boulevard du Temple, au retrait que l’on trouve devant cet immeuble.

Cette ligne forme la façade de l’ancien boulevard du Crime ; les derrières étaient situés sur la rue Amelot, qui remontait en demi-cercle jusqu’au faubourg du Temple.

Comme bien l’on pense, l’émotion fut grande, le progrès ne va pas sans catastrophes. Que de petit monde sur le pavé !

Songez : sept théâtres d’un coup fermaient leurs portes !

[…] Le Théâtre de la Gaîté émigra au square des Arts-et-Métiers. Le directeur était Harmant ; ce directeur était voué aux démolitions : il présidait aux destinées du Vaudeville de la place de la Bourse, quand il fut démoli pour laisser passage à la rue du Quatre-Septembre.

Il clôtura dignement, en homme courageux, en ajoutant au drame sur l’affiche : le Canal Saint-Martin, de Cormon et Dupeuty, un à-propos final, intitulé la Gaîté déménage.

[Eugène Héros. Le théâtre anecdotique, 1912. Paris, E. Jorel. 1913.]

(Au dernier moment, le théâtre a obtenu de la ville une dérogation pour jouer dix représentations supplémentaires du Canal Saint-Martin, jusqu’au 25 juillet — ou 3 août selon les sources.)

L’ambiance de ce boulevard sera rendue bien plus tard dans le film de Marcel Carné, les Enfants du Paradis.

Les théâtres du boulevard du Crime

Si vous passez boulevard du Temple, vous pouvez vous étonner du considérable décroché des façades entre les numéros 48 et 50. C’est que l’alignement n’a pas été poursuivi, les n° 42, 44, 46 et 48 ont échappé à la démolition et ont gardé le tracé de l’ancien boulevard. Le 48 boulevard du Temple était voisin du théâtre du Petit-Lazari (ancien théâtre d’Orsay).

Position estimée