Rue du Clos Bruneau, c. 1865

Marville : rue du Clos Bruneau

Rue du Clos Bruneau, de la rue des Écoles. Paris Ve. Vers 1865.

Version haute définition : 3838 x 2600 pixels.

Marville se trouve rue des Écoles et photographie en direction des maisons sur la rue du Clos Bruneau (l’objectif est pointé sur sur le no 11 de cette rue). À gauche, nous avons le débouché de la rue de la Montagne Saint-Geneviève (commerce de vins Au Rendez-vous de la Montagne, maison Martinot), et plus loin, celui de la rue des Carmes où nous voyons un chantier de taille de pierre. Au fond à droite, je pense que les immeubles sont sur la rue de la Sorbonne (probablement les nos 8, 6 et 4) et non pas sur le boulevard Saint Michel comme on pourrait rapidement le croire. Tout le bâti photographié, à l’exception des immeubles du fond, était condamné pour le lotissement des impairs de la nouvelle rue des Écoles. La rue du Clos Bruneau devait en effet entièrement disparaître ; elle est d’ailleurs vouée à la suppression par décret du 11 août 1855. Cependant, certaines de ses maisons vont réussir à survivre jusqu’à nos jours.

Sur la photographie de Marville, nous constatons que la rue du Clos Bruneau a perdu tous ses numéros pairs ; ils ont été démolis en 1858 pour le prolongement de la rue des Écoles. Les impairs de la rue et sa chaussée sont séparés de la nouvelle voie par un garde-corps et un talus de terre. Les nos 5 et 7 sont en cours de démolition. Les nos 3 (imprimerie C. Froment) et 9 (fruiterie-laiterie) seront démolis vers juillet 1867. (Je n’ai pas la date de démolition du no 1, qui est aussi le no 20 de la rue de la Montagne Sainte-Geneviève.) Il s’agit de libérer des parcelles assez grandes pour bâtir les immeubles de la nouvelle rue des Écoles.

Impasse du Clos Bruneau, vers 1870

Impasse du Clos Bruneau, de la rue des Écoles, vers 1870. Les nos 33 et 35 de la rue des Écoles restent à bâtir. Photographie Pierre Émonds (1831-1912). Tirage sur papier albuminé, 22 x 26,8 cm. Musée Carnavalet. [2000 x 2470 px.]

En 1870, le lotissement n’est toujours pas achevé. Je suppose que le peu qui reste de la rue du Clos Bruneau, devenu impasse, va gagner sa survie du fait qu’après 1871, l’administration municipale est bien moins encline à effectuer des expropriations. La logique (et le décret de 1855) aurait voulu que le passage du Clos Bruneau disparaisse entièrement afin de délivrer des parcelles pour les nos 33 et 35 de la rue des Écoles d’une profondeur équivalente à celles de ses voisines (les nos 25 bis, 27, 29 et 31). Il n’en sera rien et on va donc lotir le talus de terre tout en conservant ce qui n’a pas été exproprié dans les années 1860.

Les quatre maisons après la fruiterie-laiterie vont ainsi survivre et constituer le passage du Clos Bruneau. Seules les trois premières existent encore de nos jours, la quatrième ayant été sacrifiée vers 1893 pour l’alignement de la rue des Carmes.

Immeubles sur la rue du Clos Bruneau

En vert, de gauche à droite, les nos 11, 13 et 15 qui existent encore. En rouge le no 17 qui est démoli vers 1893.

La plus basse, avec un seul étage, est le no 11.

La suivante, le no13, est l’hôtel des Pyrénées sur la photographie de Marville. La maison est déclarée insalubre en 1883 1. 1. Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 26 mars 1883. Elle fait aussi l’objet d’un rapport spécial de la Commission d’hygiène et de salubrité en 1890 en raison de son “état de très grande malpropreté” 2. 2. Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 10 octobre 1892. Ce parcours miséreux ne l’a toutefois pas empêchée de subsister.

Le no 15 fait partie d’un terrain couvert par plusieurs bâtiments (dont une chapelle de 1738 au 15, rue des Carmes, aujourd’hui église Saint Éphrem-le-Syriaque). L’ensemble est acheté à l’amiable par la Ville en avril 1926 aux Fondations irlandaises en France, en vue de l’alignement de la rue des Carmes 3. Les constructions sur cette rue seront démolies. 3. Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 26 avril 1926.

Le no 17 aura moins de chance que ses voisins. Son terrain doit être retranché pour l’alignement de la rue des Carmes. La propriétaire 4 fait démolir la maison et reconstruire à l’alignement en 1894 l’immeuble que l’on voit aujourd’hui, numéroté 11 bis, rue des Carmes. 4. Veuve Clamouse, née Amanda-Louise-Virginie Noël, domiciliée 14, square des Batignolles. En 1896, la Ville lui offre 1 287,60 francs en compensation de la bande de terrain perdu. La maison démolie figure sur un dessin d’Henri Chapelle (1850-1925) daté de 1893, conservé au musée Carnavalet.

Afin que la rue du Clos Bruneau ne demeure pas une impasse, les autorités municipales vont imaginer une servitude de passage sur la parcelle du no 33. C’est le passage voûté et l’escalier que l’on voit aujourd’hui sur la gauche du Grand hôtel moderne, ou “Le M.”.

Plan rue du Clos Bruneau

Position de Marville. [1600 x 1000 px.]

CLOS-BRUNEAU (RUE DU). Commence à la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, nos 18 et 20 ; finit à la rue des Carmes, nos 19 et 21. Le dernier impair est 21 ; le dernier pair, 16. Sa longueur est de 85 m. — 12e arrondissement, quartier Saint-Jacques.

Elle a été bâtie sur le clos Bruneau. Les Cartulaires de Sainte-Geneviève de 1243 et 1248 la nomment rue Judas 5 ; on croit qu’elle était autrefois habitée par des juifs. 5. Vicus jude. — Une décision ministérielle du 8 nivôse an IX, signée Chaptal, fixa la largeur de cette voie publique à 7 m. Conformément à une ordonnance royale du 9 janvier 1828, cette dimension est portée à 10 m. En vertu d’une décision du ministre de l’intérieur du 2 août 1838, la rue qui nous occupe a reçu la dénomination de rue du Clos-Bruneau. Les maisons nos 4, 6 et 16 sont alignées. Les autres constructions devront reculer de 3 m. 30 à 4 m. 60 c.

[Félix et Louis Lazare. Dictionnaire administratif et historique des rues et monuments de Paris. Paris, Bureau de la Revue Municipale, 1855.]

Datation de la prise de vue : vers 1865.

Percement de la rue des Écoles (1852-1866)

Le projet de voirie de la rue des Écoles, projet cher au prince-président Louis-Napoléon élu en 1848, est étudié depuis juin 1850 par une commission municipale et officiellement lancé en 1852. Dans une interminable allocution du 9 juin 1852, Jean-Jacques Berger 6, préfet de la Seine, indique que la future rue des Écoles “portera l’air et la lumière dans les plus mauvais quartiers du 12e arrondissement”, ce qui était communément admis à l’époque. 6. Une appréciable partie de ce qu’on appelle couramment le “Paris haussmannien” ne relève pas du baron Haussmann, mais des préfets Rambuteau et Berger. Georges Haussmann s’est inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs, achevant des projets initiés bien avant son accession et initiant d’autres, parfois achevés bien après son départ comme le boulevard qui porte son nom. Il n’y avait aucun défenseur de ces ruelles sordides et insalubres, couvrant maladies (le quartier a connu le choléra en 1832 et 1849), grande misère et petite criminalité. Dans La Presse du 2 mars 1852, on indique que le vote du projet était depuis longtemps réclamé par la presse et l’opinion publique “au nom de la civilisation et de l’humanité”. Le quartier est décrit comme un “réseau de ruelles étroites et fangeuses, privé d’air et de soleil” et comme un “sombre amas de maisons jetées comme au hasard sur les flancs de la montagne Sainte Geneviève”. Les rues d’Arras, de Versailles, du Bon Puits, du Paon, du Mûrier et Saint Nicolas-du-Chardonnet, appelées à disparaître, sont qualifiées de “cloaques dégoûtants, peuplés de garnis immondes où le vice cherche un refuge sur une botte de paille, à raison de 20 centimes par nuit” 7. 7. L’auteur veut souligner que 20 centimes est un prix excessif pour le peu qui est offert dans un taudis. Ces garnis sont les “marchands de sommeil” de l’époque. Dans son numéro du 25 mai 1852, La Presse, très active sur le sujet, dit du quartier qu’il est “le plus malsain et le plus pauvre de Paris”.

Formation de la rue des Écoles

“Formation de la rue des Écoles, partie comprise entre les rues de la Harpe et Jean de Beauvais” 8. 8. Ce tracé sera rectifié en 1855 avec une légère inflexion au niveau du croisement avec la rue de la Sorbonne. Plan parcellaire gravé par les frères Avril, 1852. BNF. [4473 x 3218 px.]

Le décret présidentiel déclarant d’utilité publique le percement de la rue des Écoles entre la rue de la Harpe (qui élargie deviendra le boulevard Saint Michel) et la rue Saint Jean de Beauvais est signé le 24 juillet 1852.

Décret du 24 juillet 1852 relatif à l’ouverture de la rue des Écoles.

Au nom du peuple français,
Louis-Napoléon, président de la République française, sur le rapport du ministre de l’intérieur ;
Vu le projet présenté par la ville de Paris pour l’ouverture d’une voie de communication dite rue des Écoles, depuis le point de jonction des rues de l’École de Médecine, Racine, de la Harpe et des Mathurins Saint Jacques, jusqu’à la rue Saint Jean de Beauvais, avec un grand carrefour au point de départ ;
Vu le plan des alignements de la dite rue, levé en exécution de l’article 52 de la loi du 16 septembre 1807, et présentant, en outre, des alignements nouveaux pour l’élargissement de la rue de la Sorbonne et pour le redressement du côté droit de la rue des Mathurins Saint Jacques ;
Vu les plans des alignements déjà arrêtés pour ces deux dernières rues par les ordonnances royales des 18 et 25 juin 1845 ;
Vu les pièces de l’enquête à laquelle il a été procédé sur les dits projets et alignements ;
Vu les délibérations de la commission municipale de Paris en date des 20 février et 2 juillet 1852 ;
Vu l’avis du préfet de la Seine ;
Vu les lois des 3 mai 1841 et 16 septembre 1807 ;
Vu l’ordonnance du 23 août 1835 ;
Vu le décret du 26 mars 1852 ;
La section de l’intérieur du conseil d’État entendue, décrète :

Article Premier. — Est déclarée d’utilité publique l’ouverture, à Paris, entre la rue de la Harpe et la rue Saint Jean de Beauvais, d’une voie de communication dite rue des Écoles, et l’élargissement à seize mètres de la portion de la rue de la Sorbonne située entre la rue nouvelle et celle des Mathurins Saint Jacques. La dite rue des Écoles aura un minimum de largeur de vingt-deux mètres, en formant un grand carrefour à son point de départ, et une place de quarante mètres destinée à dégager les abords de la Sorbonne et du collège de France, le tout conformément aux alignements indiqués par des traits de force à l’encre noire sur le plan annexé au présent décret, et au procès-verbal des points de repère inscrit sur le dit plan ;
En conséquence, le préfet de la Seine, agissant au nom de la ville de Paris, est autorisé à acquérir, soit à l’amiable, soit, s’il y a lieu, par voie d’expropriation, en vertu de la loi du 3 mai 1841, les propriétés ou portions de propriété dont l’occupation est nécessaire.

Art. 2. — Sont approuvés conformément aux alignements indiqués par des traits de force à l’encre noire sur le plan mentionné à l’article 1er : 1o l’élargissement à douze mètres de la portion de la rue de la Sorbonne comprise entre la place de ce nom et la rue des Écoles ; 2o le redressement d’une partie de la rue des Mathurins Saint Jacques (côté droit) joignant la rue de la Harpe.
Les dispositions des ordonnances royales en date des 18 et 25 juin 1845, qui ont arrêté les alignements des rues de la Sorbonne et des Mathurins Saint Jacques, sont rapportées en ce qu’elles ont de contraire au présent décret.

Art. 3. — L’élargissement à douze mètres d’une partie de la rue de la Sorbonne et le redressement partiel de la rue des Mathurins Saint Jacques seront exécutés par l’application des mesures ordinaires de voirie, conformément aux lois et règlements en vigueur.

Art. 4. — Le ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

Fait au palais de Saint-Cloud, le 24 juillet 1852.

Le plan parcellaire des propriétés à exproprier pour l’ouverture de la rue des Écoles et à l’élargissement partiel de la rue de la Sorbonne est publié par la préfecture de la Seine le 2 septembre 1852.

Le jury chargé de fixer les indemnités aux propriétaires expropriés se réunit en février 1853 9. 9. La Presse, 15 février 1853, page I. Après une longue pause, une seconde vague d’expropriations est traitée en mars 1854 10. 10. La Presse, 22 mars 1854, page III.

Les matériaux à provenir de la démolition de 35 maisons sont adjugés en mai 1854 11. 11. La Presse, 22 mai 1854, page III. Les démolitions sont effectuées pendant l’été 1854. Les terrains ainsi libérés sont provisoirement occupés par des chantiers de taille de pierre, des baraques de petits commerces et divers saltimbanques.

Il faudra attendre 1856 pour voir s’élever les premiers immeubles de la rue des Écoles, ceux aux deux angles avec ce qui est encore la rue de la Harpe 12. 12. La Presse, 2 août 1856, page II. Les opérations finales de nivellement entre la rue de la Harpe et la rue Saint Jean-de-Beauvais sont réalisées pendant l’hiver 1856-1857.

Décret du 11 août 1855 relatif au prolongement de la rue des Écoles.

Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, empereur des Français, à tous présents et à venir, salut.
Sur le rapport de notre ministre secrétaire d’État au département de l’intérieur ;

[…] Article Premier. — Les alignements projetés pour l’amélioration des onzième et douzième arrondissements de Paris, aux abords de la rue des Écoles, sont arrêtés suivant les liserés bleus du plan ci-annexé, lesquels déterminent :
1o La régularisation et le prolongement de la rue des Écoles jusqu’au carrefour formé par les rues Saint Victor, des Fossés Saint Bernard, des Fossés Saint Victor, et du Cardinal Lemoine, et un embranchement de la dite rue des Écoles, qui, à partir de la rue Jean de Beauvais, suivra la direction de la rue de l’École polytechnique ;

[…] Art. 3. — Notre ministre secrétaire d’État au département de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

Fait au palais des Tuileries, le 11 août 1855.

Ce prolongement sera réalisé en deux étapes : en 1858 jusqu’à la rue Saint Nicolas-du-Chardonnet et en 1866 jusqu’à la rue Saint Victor.

Le plan parcellaire des propriétés à exproprier pour l’ouverture de la rue des Écoles entre les rues Jean de Beauvais et Saint Nicolas-du-Chardonnet est publié par la préfecture de la Seine le 29 décembre 1857. Les matériaux à provenir de la démolition de 24 maisons sont adjugés en 4 lots le 9 avril 1858. Les démolitions sont réalisées pendant l’été et la voie est ouverte à la circulation début janvier 1859 13. 13. La Presse, 4 janvier 1859, page III.

Le plan parcellaire des propriétés à exproprier pour l’ouverture de la rue des Écoles entre les rues Saint Nicolas-du-Chardonnet et Saint Victor est publié par la préfecture de la Seine le 15 novembre 1865. L’opération est conjointe au percement de la rue Monge entre la place Maubert et la rue des Fossés Saint-Victor. Le jury des indemnisations se réunit en avril et mai 1866. L’essentiel des démolitions est effectué de juillet à septembre 1866. La rue des Écoles est entièrement viabilisée en janvier 1867 14. 14. Le Petit journal, 24 janvier 1867, page 2.

No 3xxRue du Clos Bruneau, de la rue des Écoles. Vers 1865.
State Library of VictoriaMusée CarnavaletBHVP (négatif)
CARPH000733NV-004-C-0086
36,6 x 22,536,4 x 27,3
1865-1868vers 1864

Position estimée

Voir également :