Rue de l’Anglade, c. 1866

Marville : rue de Langlade

Rue de l’Anglade, du passage Saint Guillaume. Paris Ier. Circa 1866.

Version haute définition : 2600 x 3018 pixels.

La rue de l’Anglade (aussi orthographiée rue d’Anglade ou rue de Langlade) va disparaître en 1866 en raison de la création de l’amorce de la future avenue de l’Opéra, jusqu’à la rue de l’Échelle que l’on prolonge dans le même temps, travaux qui sont achevés en 1867.

Vue prise de la rue de la Fontaine Molière, à la hauteur du passage Saint Guillaume. Au fond, à gauche, le débouché de la rue des Frondeurs. Tout au fond, les nos 1 et 3 de la rue de l’Évêque. À droite, le débouché de la rue Sainte Anne.

Plan rue de Langlade

ANGLADE (RUE D’). Commence aux rues de l’Évêque, no 2, et des Frondeurs, no 6 ; finit à la rue de la Fontaine-Molière, nos 7 et 9. Le dernier impair est 5 ; le dernier pair, 4. Sa longueur est de 27 m. — 2e arrondissement, quartier du Palais-Royal.

Vers le commencement du règne de Louis XIII, la butte Saint-Roch se couvrit d’habitations. Un des principaux propriétaires de terrains fut un certain d’Anglade, gros marchand de cartes du quartier Saint-Jacques-la-Boucherie qui, en 1628, avait acheté auprès du champ de la Voirie l’Évêque et sur la ruelle du chemin Gilbert, un petit vignoble avec courtille et maison de bouteille. Le 10 janvier 1631, le Bureau de la Ville passa un traité avec deux entrepreneurs, Charles Froger et Barbier, qui s’étaient engagés à combler les anciens fossés des remparts où l’eau croupissait, à détruire les anciens murs pour bâtir sur leur emplacement de nouveaux quartiers. En conséquence, le propriétaire d’Anglade fut exproprié de son terrain, sur lequel devaient être complétées du côté du nord les rues Sainte-Anne et des Moulins, qui se poursuivaient parallèlement le long de la butte. On donna dès cette époque le nom de rue d’Anglade, à la voie servant de trait d’union aux deux rues dont nous venons de parler. Une décision ministérielle du 3 nivôse an X, signée Chaptal, fixa la largeur de cette voie publique à 8 m. Cette largeur fut portée à 10 m. par une ordonnance royale du 4 octobre 1826, d’après laquelle les maisons du côté des numéros impairs étaient alignées, et celles du côté opposé soumises à un retranchement de 3 m 10 c. Mais, en vertu d’un décret impérial du 3 mai 1854, la rue d’Anglade devra être supprimée pour livrer passage à une grande voie de 22 m. de largeur, dont l’ouverture est prescrite par le même décret, et qui doit commencer à la jonction des rues de Richelieu et Saint-Honoré, pour aboutir sur le boulevard des Capucines à la rencontre de la rue de la Paix.

[Félix et Louis Lazare. Dictionnaire administratif et historique des rues et monuments de Paris. Paris, Bureau de la Revue Municipale, 1855.]

Plan avenue Napoléon III

Ci-dessus, détail du “Plan de l’avenue Napoléon III” édité par la ville vers 1867 (service des publications administratives ; Louis Lazare, directeur). Nous voyons le bâti qui demeure après l’ouverture de l’amorce de l’avenue et le prolongement de la rue de l’Échelle. [2072 x 2521 px.]

Les matériaux à provenir de la démolition des nos 1 (qui est aussi le 1, rue Sainte-Anne et le 2, rue de l’Évêque), 3, 5 et 2, 4, rue d’Anglade, et des nos 1, 3, rue de l’Évêque, ont été adjugés le 13 septembre 1866 (cf. Recueil des actes administratifs de la Préfecture du département de la Seine, 1866, no 9). Démolition entre septembre et décembre 1866. Les terrains sont nivelés en janvier 1867.

Banderole d’expropriation sur la façade du no 1, rue Sainte Anne. Une autre se devine sur la boutique du marchand de brosses et paniers à gauche.

Datation : probablement vers juin-juillet 1866.

No 87Rue de l’Anglade, du passage Saint Guillaume. Circa 1866.
State Library of VictoriaMusée CarnavaletBHVP (négatif)
CARPH000477NV-004-C-0587
27.3 x 34.828.6 x 38
1865-18681866

La rue de Langlade était pour Balzac condamnée à “des industries désavouées, précaires ou sans dignité”, comme tout le quartier de la Butte des Moulins.

La rue de Langlade, de même que les rues adjacentes, dépare le Palais-Royal et la rue de Rivoli. Cette partie d’un des plus brillants quartiers de Paris conservera longtemps la souillure qu’y ont laissée les monticules produits par les immondices du vieux Paris, et sur lesquels il y eut autrefois des moulins. Ces rues étroites, sombres et boueuses, où s’exercent des industries peu soigneuses de leurs dehors, prennent à la nuit une physionomie mystérieuse et pleine de contrastes. En venant des endroits lumineux de la rue Saint-Honoré, de la rue Neuve-des-Petits-Champs et de la rue de Richelieu, où se presse une foule incessante, où reluisent les chefs-d’œuvre de l’Industrie, de la Mode et des Arts, tout homme à qui le Paris du soir est inconnu serait saisi d’une terreur triste en tombant dans le lacis de petites rues qui cercle cette lueur reflétée jusque sur le ciel. Une ombre épaisse succède à des torrents de gaz. De loin en loin, un pâle réverbère jette sa lueur incertaine et fumeuse qui n’éclaire plus certaines impasses noires. Les passants vont vite et sont rares. Les boutiques sont fermées, celles qui sont ouvertes ont un mauvais caractère : c’est un cabaret malpropre et sans lumière, une boutique de lingère qui vend de l’eau de Cologne. Un froid malsain pose sur vos épaules son manteau moite. Il passe peu de voitures. Il y a des coins sinistres, parmi lesquels se distingue la rue de Langlade, le débouché du passage Saint-Guillaume et quelques tournants de rues. Le Conseil municipal n’a pu rien faire encore pour laver cette grande léproserie, car la prostitution a depuis longtemps établi là son quartier-général. Peut-être est-ce un bonheur pour le monde parisien que de laisser à ces ruelles leur aspect ordurier. En y passant pendant la journée, on ne peut se figurer ce que toutes ces rues deviennent à la nuit ; elles sont sillonnées par des êtres bizarres qui ne sont d’aucun monde ; des formes à demi nues et blanches meublent les murs, l’ombre est animée. Il se coule entre la muraille et le passant des toilettes qui marchent et qui parlent. Certaines portes entrebâillées se mettent à rire aux éclats. Il tombe dans l’oreille de ces paroles que Rabelais prétend s’être gelées et qui fondent. Des ritournelles sortent d’entre les pavés. Le bruit n’est pas vague, il signifie quelque chose : quand il est rauque, c’est une voix ; mais s’il ressemble à un chant, il n’a plus rien d’humain, il approche du sifflement. Il part souvent des coups de sifflet. Enfin les talons de botte ont je ne sais quoi de provoquant et de moqueur. Cet ensemble de choses donne le vertige. Les conditions atmosphériques y sont changées ; on y a chaud en hiver et froid en été. Mais, quelque temps qu’il fasse, cette nature étrange offre toujours le même spectacle : le monde fantastique d’Hoffmann le Berlinois est là. Le caissier le plus mathématique n’y trouve rien de réel après avoir repassé les détroits qui mènent aux rues honnêtes où il y a des passants, des boutiques et des quinquets. Plus dédaigneuse ou plus honteuse que les reines et que les rois du temps passé, qui n’ont pas craint de s’occuper des courtisanes, l’administration ou la politique moderne n’ose plus envisager en face cette plaie des capitales. Certes, les mesures doivent changer avec les temps, et celles qui tiennent aux individus et à leur liberté sont délicates ; mais peut-être devrait-on se montrer large et hardi sur les combinaisons purement matérielles, comme l’air, la lumière, les locaux. Le moraliste, l’artiste et le sage administrateur regretteront les anciennes Galeries de Bois du Palais-Royal où se parquaient ces brebis qui viendront toujours où vont les promeneurs ; et ne vaut-il pas mieux que les promeneurs aillent où elles sont ? Qu’est-il arrivé ? Aujourd’hui les parties les plus brillantes des boulevards, cette promenade enchantée, sont interdites le soir à la famille. La police n’a pas su profiter des ressources offertes, sous ce rapport, par quelques Passages, pour sauver la voie publique.

La fille brisée par un mot au bal de l’Opéra demeurait, depuis un mois ou deux, rue de Langlade, dans une maison d’ignoble apparence. Accolée au mur d’une immense maison, cette construction, mal plâtrée, sans profondeur et d’une hauteur prodigieuse, tire son jour de la rue et ressemble assez à un bâton de perroquet. Un appartement de deux pièces s’y trouve à chaque étage. Cette maison est desservie par un escalier mince, plaqué contre la muraille et singulièrement éclairé par des châssis qui dessinent extérieurement la rampe, et où chaque palier est indiqué par un plomb*, l’une des plus horribles particularités de Paris. La boutique et l’entresol appartenaient alors à un ferblantier, le propriétaire demeure au premier, les quatre autres étages étaient occupés par des grisettes très-décentes qui obtenaient du propriétaire et de la portière une considération et des complaisances nécessitées par la difficulté de louer une maison si singulièrement bâtie et située. La destination de ce quartier s’explique par l’existence d’une assez grande quantité de maisons semblables à celle-ci, dont ne veut pas le Commerce, et qui ne peuvent être exploitées que par des industries désavouées, précaires ou sans dignité.

[Honoré de Balzac. Splendeurs et misères des courtisanes, première partie : Esther heureuse. Dans : Scènes de la vie parisienne, tome III. Chez Alexandre Houssiaux,‎ 3, rue du Jardinet-Saint-André-des-Arts, Paris. 1855.]

(*) “Plomb : se dit encore de ces cuvettes, ordinairement de plomb, qu’on établit aux différents étages d’une maison, pour y jeter les eaux sales, qui s’écoulent ensuite par les tuyaux de descente.” — Dictionnaire de l’Académie française, VIe édition, 1835.

Position estimée