Cirque Molier, 1921

Cirque Molier, 1921

Cirque Molier, rue Bénouville. Paris XVIe. Juin 1921.

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Fondé en 1880 par le grand amateur de chevaux Ernest Molier, et s’arrêtant à la mort de son fondateur en 1933, le Cirque Molier, ou Cirque des amateurs, est un gala de charité annuel. Sur sa piste se produisent des membres de la haute bourgeoisie, ayant longuement préparé leur passage, principalement dans des numéros d’équitation. Une sorte de Gala de l’Union des Aristocrates… C’est l’un des événements les plus courus par le Paris élégant et mondain, et on y assiste uniquement sur invitation.

Les représentations ont lieu à l’hôtel particulier de M. Molier, 6, rue Bénouville, Paris XVIe.

« Paris a la maison de Molière, mais Paris a aussi la maison de Molier autrement dit le Cirque des amateurs. »

Molier ! Que de mondaines et de mondains tressaillent, à ce nom qui leur rappelle non pas toujours les joies et les émotions d’une représentation sensationnelle, mais surtout, on peut l’avouer, le bonheur et la vanité de pouvoir se dire invité de ce grand amateur d’équitation, du fondateur du Cirque des amateurs. La semaine qui suit le Grand Prix, Molier réunit en effet dans son hôtel de la rue Bénouville tout ce que Paris compte de célébrités non seulement mondaines, mais aussi artistiques et scientifiques ; les princes de la pensée et les princes du sang se montrent chez lui, les femmes du monde y coudoient les étoiles du théâtre. Molier révolutionne même l’existence de ses invités ; il a eu l’influence nécessaire pour changer leurs habitudes, et ces snobs qui arrivent en retard se soumettent à la pénible obligation d’attendre, en grande toilette de soirée, patiemment, dans la rue, le moment où il sera permis d’entrer. C’est même un curieux spectacle que présente celle longue file de personnalités marquantes : les messieurs, une rose à la main, pour prendre part au concours obligatoire des roses, les dames magnifiquement chapeautées, pour le concours de chapeaux qui leur est réservé.

Le cirque n’est pas grand : aussi, malgré une attente prolongée, les invités ne sont pas sûrs d’être assis ; beaucoup restent dans le salon de l’hôtel qui porte le nom de Salon des refusés. Ce cirque est un simple hangar, qui a été aménagé, en 1880, afin de recevoir quelques invités pour la première représentation offerte par M. Molier ; des échelles conduisaient au balcon, aujourd’hui, il existe des escaliers. Néanmoins, malgré la simplicité de l’installation, le coup d’œil que présente une réception chez Molier, est absolument féerique : le cirque orné de fleurs, les toilettes merveilleuses des dames parées de leurs plus beaux bijoux forment un ensemble inoubliable.

M. Molier n’accepte que des concours d’amateurs ; tous les grands noms de l’aristocratie figurent sur son programme, son orchestre compte même des juristes éminents, des économistes distingués et aussi une personnalité marquante de l’Université. Au début du Cirque des amateurs, certains journalistes étaient effrayés de voir descendre dans l’arène des gentilshommes, comme autrefois les chevaliers à Rome « pour disputer des prix indignes de leurs mains ». D’autres avaient pris le parti contraire et vanté la mission sociale de cette initiative. Comme le dit lui-même M. Molier : « Je ne puis m’empêcher de manifester ma surprise d’avoir été posé par les uns en régénérateur de l’humanité, par les autres en démoralisateur d’une race », comme il ajoute : « En nous livrant à des sports tels que l’équitation, la gymnastique, la boxe et l’escrime, voire même l’acrobatie et le dressage d’animaux, nous ne pensions guère, mes camarades et moi, porter atteinte au prestige de la noblesse et à compromettre ses destinées politiques. » Des gens du monde ne dédaignent pas de jouer la comédie de salon et des dames de la haute société ne croient pas déchoir en chantant dans des concerts. Louis XIV se montrait sous les attributs de Neptune dans le ballet des « Amants magnifiques » et, sous le second Empire, une représentation à Compiègne réunissait comme interprètes les grands noms de l’aristocratie. Le prince impérial était un des acteurs ; le prince de Metternich accompagnait au piano.

[…] Le talent de ces amateurs est charmant, les représentations qu’ils donnent sont très recherchées, les invitations très choisies ; ils évitent précisément tout ce qui pourrait sentir l’histrionisme, et les tours de force, les exercices, les « numéros » sont admirablement bien réussis. Ces distractions valent bien l’abrutissante et méphitique vie de cercle ou l’on s’absorbe dans la contemplation d’un huit où d’un neuf abattu sur une table de baccarat, jusqu’au jour fatal du décavage…

Ces hommes du monde occupent non seulement leurs loisirs d’une façon intéressante, mais ils mettent aussi leurs talents au service de la charité. À différentes reprises, M. Molier organisa des représentations au bénéfice d’œuvres philanthropiques. On se rappelle surtout celle qu’il donna au Nouveau-Cirque sous la présidence de Mme la duchesse d’Uzès, née Mortemart, et qui rapporta aux pauvres de l’Hospitalité du travail plus de 50.000 francs. Une autre année, ce fut l’œuvre de Villepinte qui bénéficia d’une soirée donnée à son profit. La représentation eut lieu rue Bénouville, et la présidente fut la duchesse d’Uzès. Tout l’armorial de France s’était rendu chez Molier pour cette soirée, qui fut excellente pour les pauvres.

Le Cirque Molier est une manifestation sportive ; il compte déjà 34 années d’existence. Le fondateur sut toujours grouper autour de lui des collaborateurs de talent, et de mérite, bien qu’étant de simples amateurs, et, si cette initiative n’avait qu’un but mondain, la charité, qui ne perd jamais ses droits, eut sa large part dans le concours prêté par ces personnes de mérite. En divertissant leur prochain et en développant leurs forces physiques, ils ont aussi songé à faire le bien.

Stéphen de Prétieux.

[Le Magasin pittoresque. Janvier 1913.]

Les mondanités

41e REPRÉSENTATION DU CIRQUE MOLIER

Les modes passent. Mais il est des traditions d’élégance, de hardiesse et de gaieté si joliment françaises que les laisser mourir serait pis qu’un crime… une impardonnable faute de goût.

Sous la lumière crue des lampes à arc entourées d’un halo de poussière fleurant le troublant mélange de délicats parfums féminins et de salubres relents d’écurie, Molier a donné, hier, sa quarante et unième représentation d’écuyères et écuyers de haute école, d’athlètes et de gymnastes, de danseurs et de clowns amateurs.

La miniature de cirque de la rue Benouville compte bien cinq cents places. Il ne s’y entassait guère moins de quinze cents Parisiens bien parisiens, de Paris et d’ailleurs, et ce fut comme une évocation exquisement modernisée des plus chatoyantes, sonores et vertigineuses pages des Goncourt.

La chambrée, ainsi qu’à l’ordinaire, était des plus aristocratiques et sportives. La place nous manque pour citer des noms.

Le programme de cette fête, ordonnée par la longue expérience de M. Molier, véritable magicien, fut un enchantement. L’on s’amusa le mieux du monde, entre gens du meilleur monde.

Naturellement, l’équitation fut la reine de la soirée et tout Paris sait que, pour l’impeccable et prestigieuse amazone qu’est Mme Alfarty Molier, la cravache vaut un sceptre.

Les exercices de haute école alternèrent avec les plus cocasses entrées de clowns, classiquement grimés. Miracle ! les facéties abracadabrantes de MM. Joé Charleval, Albert Delmas, Jean Hallame semblèrent presque neuves et obtinrent le plus cordial succès.

Il y eut, dès l’abord, une exquise course à la rose où se firent applaudir Mlles Chéruit, Cornuel et M. Fresson, présentés par le maître de la maison, toujours excellent cavalier.

Ce furent ensuite des danses sur des mélodies grecques, que Samain n’eût pas manqué d’intituler : « Aux flancs du vase », et qu’exécutèrent avec un joli sentiment du rythme Mlles Thérèse et Francine Nadal, Massonneau, Esprit, Roubaud, Véchambre et M. R. Lavoué, sur flûte et harpe de Mlles Crunelle et Canella.

Après Mme Alfarty Molier, qui, sans avoir l’air d’y toucher, manœuvra un cheval pur sang ainsi qu’un automate de précision, M. Charley Bourgeoise exécuta un travail sans selle dans un style étourdissant.

Il faut également louer le triple tandem, où Mlles Fournier, Cornuel et Chéruit évoluèrent avec un ensemble parfait.

Mais le plus vif succès de la soirée alla à la mignonne Lysiane Alfarty, dont les souples et lentes acrobaties égyptiennes, d’une suave pureté de ligne et d’une grâce inoubliable, ravirent l’assistance, ensuite oppressée à l’enlèvement par la nuque de la fillette, au moyen d’une canne maintenue à bras tendu par le docteur Fournier.

Mentionnons, enfin, les exercices de force réellement ahurissants de M. Verhaert, recordman du monde du soulevé de terre, et qui se promène avec un piano et sa pianiste sur les épaules et garde sur son dos d’Atlas un appareil impressionnant portant deux chevaux de selle avec leurs amazones.

[Le Gaulois, 30 juin 1921.]

Position estimée