Mise au tombeau du Soldat inconnu, 1921

Inhumation du soldat inconnu, 1921

Inhumation du soldat inconnu, place de l’Étoile. Vendredi 28 janvier 1921.

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La mise au tombeau du « Soldat inconnu »

D’une simplicité émouvante fut cette cérémonie qui s’est déroulée devant une foule nombreuse, en présence du ministre de la Guerre, des maréchaux et des délégués à la Conférence interalliée

Ce ne fut qu’une brève cérémonie militaire, belle cependant, par tout ce qu’elle suscitait en nous d’émotions graves et de tragiques souvenirs.

Il ne faisait pas encore tout à fait jour quand les troupes en armes se rassemblèrent sur la place de l’Étoile, autour de l’arc immense qui paraissait plus grand encore dans la brume de cette froide matinée.

Peu à peu, la foule se massait, une foule noire, dense, immobile, de travailleurs et de travailleuses, venus, les uns et les autres pour s’incliner devant le cercueil du héros sans nom. Et, tour à tour, arrivaient les délégations : celles du Parlement, celles des Écoles… Au pied du pilier est de l’Arc de Triomphe, des offrandes s’entassaient ; palmes de bronze de l’École alsacienne et de la Fédération nationale des victimes de la guerre, humble couronne en céramique, d’un « ami » du héros mort, gerbes des différents comités de la Ligue des chefs de section, couronnes du personnel auxiliaire du ministère des Pensions, de l’Association des interprètes militaires, de l’Association de rhétorique. Derrière la dalle funèbre qui porte cette épique inscription :

ICI REPOSE
UN SOLDAT FRANÇAIS
MORT
POUR LA PATRIE

Les drapeaux des régiments se sont rangés. Il y a là les étendards décolorés, déchirés des 11e et 12e cuirassiers, du 13e d’artillerie, du 21e régiment d’infanterie coloniale, des 104e et 119e régiments d’infanterie. Sur la droite de la tombe sont placés les drapeaux des médaillés militaires, de l’Association des croix de guerre et des volontaires étrangers.

Et, peu à peu, les personnalités qui doivent assister à la cérémonie arrivent au pied du monument : ce sont, d’abord, les généraux Dubail, grand chancelier de la Légion d’honneur, et Malleterre, gouverneur des Invalides ; le général Berdoulat, gouverneur de Paris ; le général Trouchaud, commandant d’armes de la place ; l’amiral Grasset, le général Gouraud, le général Lasson, représentant le Président de la République, les généraux Fayolle, Nivelle, Degoutte.

Puis ce sont MM. Guist’hau, ministre de la Marine ; Albert Sarraut, ministre des Colonies ; Maginot, ministre des Pensions ; Bérard, ministre de l’Instruction publique ; Autrand, préfet de la Seine ; Gay, président du conseil général ; Le Corbeiller, président du conseil municipal ; Raux, préfet de police.

Le maréchal Pétain arrive quelques minutes avant la cérémonie, suivi de près par le maréchal Foch… Et derrière eux, inattendus, Lloyd George, premier ministre britannique ; lord Curzon ; Jaspar, ministre des Affaires étrangères de Belgique ; Bonin-Longare, ambassadeur d’Italie, et le comte Sforza.

On dépose sur la dalle de granit qui, tout à l’heure, recouvrira la dépouille héroïque du mort inconnu, trois magnifiques couronnes offertes, la première, par l’ambassadeur d’Italie au Poilu français ; la seconde par le ministre des Affaires étrangères du royaume de Belgique ; la dernière, par la nation britannique au Héros français.

Le ministre de la Guerre

Il est huit heures et demie, la sonnerie du garde à vous éclate. Puis on sonne aux champs. Les troupes portent les armes, et la Marseillaise retentit, solennelle, répercutée par les échos profonds de l’Arc de Triomphe, M. Barthou descend de voiture et salue les hôtes éminents de la République qui ont tenu à honorer l’héroïsme des soldats de France, en assistant à la glorification symbolique du mort anonyme…

Derrière le ministre, au milieu des officiers d’ordonnance, s’avance l’invalide Poulet qui, sur un coussin de velours bleu, porte la croix de la Légion d’honneur, la médaille militaire et la croix de guerre.

Un silence s’établit…

Et brusquement, la scène s’élargit, prend toute son auguste plénitude : porté sur les épaules de quatre de ses frères d’armes, précédé par un maréchal des logis, sabre nu au poing, jugulaire au menton, le Héros sans nom vient prendre sa garde éternelle. Il apparaît, sous son linceul tricolore frangé d’or, sur lequel on a cousu déjà la médaille de Verdun. Et le voici au bord de sa tombe…

Le clairon jette un ordre bref. On sonne et on bat Aux Champs. Tous les fronts se sont découverts.

Et, quand les cuivres se sont tus, M. Barthou prend la parole pour exalter l’héroïsme des soldats de France, et prononce le discours suivant :

Au nom de la France, pieusement reconnaissante et unanime, je salue le Soldat inconnu qui est mort pour elle.

Cette Légion d’honneur, cette médaille militaire, cette croix de guerre que j’ai déposées sur son cercueil sont plus et mieux qu’un symbole. Elles sont l’hommage suprême de la patrie aux héros inconnus qui l’ont sauvée. Les morts — surtout ces morts — commandent aux vivants.

Obéissons à leur voix pour faire, dans la paix qu’ils ont conquise, une France unie, laborieuse, confiante et forte.

Puis, prenant des mains de l’invalide Poulet le coussin sur lequel sont épinglées les trois décorations françaises, le ministre de la Guerre le dépose sur le cercueil. La Marseillaise retentit de nouveau, puis tout se tait. Et M. Barthou, qui ne cache pas ses larmes, crie à voix tonnante « Vive la France ! » Un long frémissement court dans la foule. C’est fini.

Les mères

C’est fini. Mais voici que de symbolique et d’officielle, la cérémonie se fait humaine, douloureuse. Au premier rang des délégations, on a fait se placer des femmes en deuil, mères, sœurs, femmes, filles de disparus. Celle-ci porte un nom illustre, cette autre est une humble femme des faubourgs. Elles ont apporté chacune leur bouquet. Et sous leurs voiles noirs, elles s’agenouillent, se signent, prient et pleurent. Un soldat mutilé, tête nue, debout sur ses béquilles, laisse couler ses larmes. Et derrière ceux-là, la foule haletante, accourt, car les barrages se sont rompus sous sa poussée. Elle apporte des fleurs, elle aussi, les petits bouquets de violettes, de mimosas, de roses d’hiver, pâles et frileuses, qu’elle ne peut pas aller déposer sur la tombe de ses morts.

Cependant, la police, avec douceur, s’emploie à dégager le centre du monument, pour permettre à la foule de défiler devant le caveau funéraire. On ménage, sur la gauche de l’Arc de Triomphe, un large couloir, que bordent des gardes républicains et des gardiens de la paix. Et la foule, canalisée, passe, passe interminablement devant le Soldat inconnu.

Puis, vers dix heures du matin, alors que la foule est moins dense, un officier de la maison militaire du Président de la République, le commandant Fontana, vient, au nom de M. Millerand, déposer une palme sur la tombe du Soldat inconnu… Et, dans l’après-midi, le maréchal Wilson, le général Bingham et le général Twites, accompagnés du général Weygand, sont allés également déposer une couronne sur la dalle funéraire, au nom de l’armée britannique.

Gaston-Ch. RICHARD.

[Le Parisien, 29 janvier 1921, no 16041.]

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