Urinoir sextuplace, théâtre de l’Ambigu, c. 1875

Marville : urinoir sextuplace, théâtre de l’Ambigu

Urinoir système Jennings. Plateau de l’Ambigu. Paris Xe. Circa 1875.

Version haute définition : 2720 x 2000 pixels.

Photographie de la collection « Édicules établis sur la voie publique et dans les promenades de Paris », présentée à l’Exposition universelle de 1878.

Nous voyons ici un superbe urinoir à six stalles, surmonté d’un bec de gaz, de la maison Jennings. Ce style d’urinoir est idéal pour les lieux à fort trafic, et d’un encombrement réduit sur la chaussée au regard de sa capacité.

George Jennings (1810-1882) était un entrepreneur en plomberie et sanitaires. Cet Anglais, qui se qualifiait d’ingénieur sanitaire, inventa et breveta de nombreux modèles de chasses d’eau, de cuvettes et d’urinoirs. Sa plus grande œuvre fut l’aménagement des toilettes du Crystal Palace pour l’exposition universelle de 1851 à Londres.

Urinoir Jennings

Urinoir Jennings

[Urinoir Jennings à trois stalles conservé au Darlington Railway Museum.]

La salle du théâtre de l’Ambigu-Comique, d’une capacité de 1900 places, avait été construite en 1828 sur des plans de Hittorf et Lecointe au 2 ter du boulevard Saint-Martin.

Position estimée

Elle a malheureusement été démolie en 1967, malgré les promesses d’André Malraux, pour y construire une horreur sans grâce, l’immeuble de béton qui est aujourd’hui occupé par le Fongecif Île-de-France.

Par chance, j’ai trouvé une gravure traitant le même sujet que celui qu’on devine sur la toile peinte accrochée au-dessus du péristyle du théâtre. Il s’agit d’une scène d’une pièce dramatique en cinq actes qui fut créée à l’Ambigu, L’Affaire Coverley, écrite par Adrien Barbusse et Henri Crisafulli. À la plaisante stupeur du public, un train entrait sur scène pour écraser un acteur et rien que pour cela, la pièce a obtenu un grand succès.

Le chroniqueur du Figaro notait que c’était bien la première fois qu’on voyait le chef machiniste traîné sur scène à la fin d’un spectacle pour être ovationné.

Tableau du chemin de fer dans l’Affaire Coverley

3 avril 1875.

J’ai pu constater ce soir que l’Ambigu tient un succès. La salle est pleine, et on me dit au théâtre que la location marche à merveille.

Ce n’est pas le drame de M. Barbusse qui attire le public, ni même le jeu intéressant de Paul Deshayes, c’est le fameux tableau du chemin de fer, c’est la locomotive écrasant l’un des héros de l’Affaire Coverley.

Nous avons eu le plafond de la Maison du Baigneur, la maison à quatre étages de Jean la Poste, le mur tournant de l’Officier de fortune, mais la locomotive de l’Ambigu dépassera en attraction tous ces décors à effet.

Le théâtre entre décidément dans une voie nouvelle.

Plusieurs critiques dramatiques prétendaient qu’il la cherchait, cette voie ; il vient de la trouver. Le public est blasé; il a vu et revu cent fois la même chose ; il est las d’assister aux éternelles amours de Gustave et de Caroline ; on va lui servir du nouveau.

Le mouvement est venu de haut: du Théâtre-Français.

Ce qui a fait le succès du Sphinx, ce n’est ni le style charmant d’Octave Feuillet, ni les situations palpitantes du drame, ce sont les convulsions de mademoiselle Croizette. On se plaisait à voir cette agonie nature, cette face verte comme l’absinthe, ces gigottements hippocratiques, ces râles mortuaires. Certains journaux ayant avancé que mademoiselle Croizette prenait tous les soirs quelques grammes d’arsenic, pour jouer l’empoisonnement avec plus de conscience, tout Paris s’est pressé aux coliques de la jeune comédienne.

Pourquoi s’arrêterait-t-on en si beau chemin ?

Puisque les exhibitions de ce genre sont fructueuses, on aurait bien tort de s’en priver.

Les directeurs n’ont pas à se préoccuper de la question d’art, mais seulement de la question d’argent. Ce sont des spéculateurs qui veulent faire des affaires.

On va donc, plus que jamais, se mettre en quête de procurer au public, non plus des sensations de cœur, mais des attaques de nerfs.

[Les Soirées parisiennes. 1875.]

Sur l’urinoir en fonte à deux stalles qui est à gauche, on peut reconnaître une célèbre affiche du théâtre de l’Athénée-Comique, dessinée par Chéret.

Affiche du théâtre Athénée-Comique, 1876

[Affiche du théâtre Athénée-Comique, illustration et impression Jules Chéret (1836-1932), 80 x 60 cm, 1876. BNF.]

Ce théâtre de 1000 places avait ouvert en 1866 au 17 de la rue Scribe sous le nom d’Athénée. Le banquier Raphaël Bischoffsheim avait créé la salle pour la musique symphonique et les concerts populaires Pasdeloup, mais devant le peu de succès rencontré par l’entreprise, il l’avait louée à différents entrepreneurs de spectacles. Devenu Athénée-Comique en 1876 sous la direction de Montrouge (de son vrai nom Louis-Émile Hesnard), la salle se consacre à la comédie bouffe et au vaudeville. De forts mauvaises langues disaient que l’intérêt de ses spectacles était plus dans le décolleté des actrices qu’ailleurs.

En 1883, Bischoffsheim, peu amateur de ce genre de spectacles, décide d’expulser la troupe en lui demandant une forte augmentation de loyer. Ainsi, l’Athénée-Comique de la rue Scribe doit offrir son ultime spectacle le 31 mai 1883. La salle est alors louée pour des conférences et soirées littéraires de meilleure tenue que Boum, voilà !, En classe, Mesdemoiselles !, La Belle Polonaise ou le Cabinet Piperlin. La salle sera par la suite annexée par son voisin, un grand-hôtel, qui transformera l’espace en salle de restaurant.

En novembre 1890, l’Athénée-Comique renaît de ses cendres sous la direction de Félix Pardon au 50 de l’avenue de Clichy, dans l’ancienne salle du café-concert du Chalet transformée en théâtre. Mais l’aventure ne dure que peu de temps, et la salle ferme en décembre. Une troisième Athénée-Comique ouvrira rue Boudreau (IXe) en 1896, à la place de la Comédie Parisienne, sous la direction de Lerville (Jules Lévy). En 1897, la salle est rebaptisée Comédie Parisienne, puis en 1899, Athénée (sans épithète). C’est aujourd’hui le Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet