Gugusse le clown, 1908

James Guion, le clown Gugusse, 1908

James Guion, le célèbre clown Gugusse de l’Hippodrome de l’Alma.

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Mort du clown Gugusse, 1908

[Le Petit Parisien, 19 avril 1911.]

Les clowns, depuis quelque temps, ont beaucoup défrayé la nécrologie.

L’an dernier à pareille époque, on annonçait la mort, dans un hôpital anglais de Levallois-Perret, d’un pauvre diable de clown qui fut célèbre naguère pour avoir créé un type, un type qui, peut-être, subsistera parmi les bouffons qui réjouirent l’humanité.

Cet homme qui s’appelait James Guion n’était autre que le créateur du personnage de Gugusse.

La façon dont Gugusse se révéla fut tout au moins inattendue. Sans ressource et sans place, n’ayant aucune prétention à la drôlerie, l’homme un jour était allé s’embaucher à l’Hippodrome de l’avenue de l’Alma comme garçon de piste.

Moyennant trois francs par soirée, il devait, vêtu d’un habit bleu, ramasser le crottin, rouler les tapis et détacher les cordes.

Or, le soir de ses « débuts », Auguste était très intimidé. Lorsqu’il lui fallut pénétrer sur la piste pour travailler, le brave garçon, dont le visage ne respirait pas une vive intelligence, commença par se jeter dans une corde, ce qui l’envoya rouler à quelques mètres. Aussitôt relevé, l’air un peu ahuri, il veut rouler un tapis, se trompe et tombe. À peine est-il debout qu’il fait une nouvelle culbute… Les spectateurs étouffent de rire, acclament « Gugusse » et sont persuadés que ce pitre est un nouveau clown.

Aussi le directeur, un homme adroit, doubla-t-il les appointements d’Auguste pour recommencer chaque soir cette entrée comique. Le nouveau clown sut jouer la stupidité avec un rare brio et quelques mois plus tard, c’était l’étoile de l’Hippodrome.

Cette révélation de son talent naturel, inspira à Gugusse le désir de connaître les secrets du métier qu’il venait d’embrasser et de revenir un acrobate habile. C’est alors qu’il prit des leçons auprès d’un autre clown, Auguste Bellon, dont la renommée était très grande dans le monde des cirques au moment de sa jeunesse. Celui-ci, qu’il n’appelait pas autrement que son « vénéré maître », lui fit, un jour, cette singulière confidence :

— Mon plus grand triomphe date de la soirée au début de laquelle je venais d’apprendre la mort de ma pauvre vieille mère qui avait demandé à me revoir là-bas, au pays… Ce soir-là, vois-tu, je fus tellement funèbre au milieu de mes ébouriffantes folies que le public se tordait et demandait grâce !… À un certain moment, n’y pouvant plus tenir, je me mis à sangloter devant toute cette foule en délire. Ah ! mon ami les rires redoublèrent : « Bravo ! bravo ! C’est impayable ! Il n’y a que lui pour trouver ça ! Bravo, Bellon ! C’est sublime !… » Je ne sais pas si c’était sublime ; mais, ce que je sais bien, c’est qu’à peine rentré dans ma loge, je tombai raide, de tout mon haut, et que je restai longtemps évanoui ! Tout n’est pas rose, dans la gloire !

Gugusse, dont la gloire avait, par la suite, éclipsé celle de son maître, apprit à son tour et à ses dépens de quel prix on la payait : pauvre et infirme, il avait été contraint d’abandonner la piste. Recueilli dans l’hospice anglais de Levallois-Perret, où il mourut, il n’avait plus d’autre consolation, pendant les dernières années de sa vie, que d’aller parfois, spectateur mélancolique, assister aux prouesses bouffonnes de ses successeurs Footitt et Chocolat !…

Ces jours derniers, la mort d’un autre clown célèbre attrista Montmartre et même un peu Paris, car, depuis des années, ce clown avait diverti bien des générations de petits Parisiens de la Butte et des autres quartiers de la capitale.

Ce clown, c’est Médrano, autrement dit Boum-Boum. C’est sous ce nom qu’on a si longtemps applaudi à ses tours de souplesse, aux fantaisies de sa verve inépuisable.

[Enest Laut. Le Petit Journal. Supplément du dimanche 19 mai 1912.]