Rue des Marmousets, 1865

Marville : rue des Marmousets, île de la Cité

Rue des Marmousets, de la rue de la Licorne. Île de la Cité. Paris IVe. 1865.

Version haute définition : 2600 x 3369 pixels.

Marville se trouve entre les rues de la Licorne et de Glatigny, et photographie en direction de la rue d’Arcole.

Nous voyons à gauche, la rue de Glatigny, à droite, la rue de Perpignan. Plus loin, la rue Saint Landry débouche au niveau de la seconde lanterne sur console, avant le serrurier.

Tout ce que nous voyons va disparaître en mai-juillet 1866 pour la construction du nouvel Hôtel-Dieu.

(On notera le “Man, spricht deutsch” sur la lanterne du Grand hôtel Notre-Dame au 24, rue des Marmousets.)

Plan rue des Marmousets

Position de Marville. [1600 x 1000 px.]

MARMOUSETS EN LA CITÉ (RUE DES). Commence aux rues Chanoinesse, no 19, et de la Colombe, no 14 ; finit à la rue de la Cité, nos 15 et 17. Le dernier impair est 25 ; le dernier pair, 38. Sa longueur est de 170 m. — 9e arrondissement, quartier de la Cité.

Une maison dite des Marmousets existait dans cette rue en 1206. Guillot la nomme du Marmouzet ; le rôle des taxes de 1313, des Marmozets, et la liste des rues du quinzième siècle, des Marmouzettes. C’est enfin aujourd’hui la rue des Marmousets. — Une décision ministérielle du 13 ventôse an VII, signée François de Neufchâteau, a fixé la largeur de la rue des Marmousets à 7 m. Les propriétés ci-après ne sont pas soumises à retranchement : nos 5, 7, de 17 à 21, 25 ; 8, 14, de 18 à 24 et de 30 à 34.

[Félix et Louis Lazare. Dictionnaire administratif et historique des rues et monuments de Paris. Paris, Bureau de la Revue Municipale, 1855.]

RUE DES MARMOUSETS. Elle aboutissait d’une extrémité à une porte du cloître Notre-Dame, au droit de la rue de la Colombe, et se terminait, de l’autre, à la rue de la Juiverie. Il est probable que, comme la rue de la Vieille-Draperie dont elle formait la continuation, elle est d’origine gallo-romaine ; mais aucune occasion de le constater ne s’est encore offerte.

Une maison, dite des Marmousets, domus Marmosetorum, dès 1206, a fait donner à cette rue le nom qu’elle a toujours porté depuis, avec quelques variantes d’orthographe, et aussi dans la forme syncopée de “rue des Marmotz” (1536), dont nous n’avons vu qu’un exemple. Au reste, comme l’a dit Sauval, et contrairement à ce qu’affirme Jaillot, la partie occidentale de la rue des Marmousets a très-certainement été appelée parfois rue de la Madeleine, car nous la trouvons ainsi désignée dans le livre de la Taille de 1296, dans des titres fort explicites de 1327, 1362, 1368, et encore au seizième siècle. Il paraît même, par un article du compte des confiscations de 1427 à 1434, qu’on a dit en outre rue des Mailles ou plutôt des Maillets. Cette dénomination provenait d’une maison qui avait pour enseigne les Maillets, et était attenante a celle des Marmousets.

[Adolphe Berty (1818-1867). Les trois îlots de la Cité compris entre les rues de la Licorne, aux Fèves, de la Lanterne, du Haut-Moulin et de Glatigny : fragment d’une histoire topographique et archéologique du vieux Paris. Paris, Didier et Compagnie. 1860.]

Datation de la prise de vue : vers octobre 1865.

No 184Rue des Marmousets, de la rue de la Licorne. 1865.
State Library of VictoriaMusée CarnavaletBHVP (négatif)
H88.19/83CARPH000908NV-004-C-0703
26 x 3226.6 x 31.928.8 x 37.8
vers 18771865-18681865

La rue de Marmousets, démolie en 1866 pour faire place au nouvel Hôtel-Dieu, était réputée dit-on pour le commerce de pâtés et de tourtes d’une grande finesse de goût…

Légende du barbier et du pâtissier sanguinaires

Une légende sinistre reste associée aux rues des Marmousets et des Deux Ermites, celle du barbier assassin qui tuait ses clients pour fournir en viande fraîche un commerce voisin. S’il y a eu éventuellement crime au XVe siècle dans la rue des Marmousets, il fut romancé et considérablement exagéré par les écrivains du XIXe en mal de sensationalisme historique.

La source la plus ancienne parmi celles que j’ai trouvées lors de mes recherches remonte au début du XVIIe siècle, et c’est sans aucun doute elle qui est à l’origine du conte moderne. Il s’agit du Théâtre des antiquitez de Paris de Jacques du Breul (1528-1614) publié en 1612.

Il en ressort qu’un pâtissier de la rue des Marmousets, aidé d’un voisin barbier, aurait tué un homme (et non plusieurs…) vers 1430, et utilisé le cadavre pour en faire des pâtés. Le crime ayant été découvert, la Cour de Parlement aurait condamné le pâtissier à la mort et sa maison à être rasée. En outre, on aurait élevé à la place de la maison une colonne, ou une pyramide (on n’est pas sûr…), pour conserver la mémoire de ce crime.

Un siècle plus tard, Pierre Belut (1490-1541), conseiller du Parlement, est propriétaire du terrain et il souhaite y faire construire. L’homme sait qu’il y aurait eu un arrêt au XVe siècle interdisant la construction sur ce terrain, et même si ledit arrêt demeure introuvable, ses effets sont restés dans la mémoire collective, “du commun bruit de ladite ville qui est, que ladite place doit à toujours demeurer inhabitée”. Pierre Belut présente donc une requête au roi François Ier pour légitimer aux yeux de tous son projet immobilier. Ce permis de construire est octroyé par lettres patentes de janvier 1536, le roi jugeant l’arrêt perdu bien ancien et le terrain vague faisant mauvais effet dans “l’une des principales et plus anciennes rues de notredite ville”.

Jacques du Breul avait obtenu copie des lettres patentes de Nicolas Belut, conseiller au Trésor, fils de Pierre Belut. Les lettres patentes sont l’unique document dans lequel on peut placer une confiance, certes modérée. Les faits exposés sont les suivants : Pierre Belut, personnage en vue, conseiller du parlement de Paris, est propriétaire en 1535 d’un terrain vide et d’une masure qui sont abandonnés depuis longtemps, appelés le lieu des Marmousets et situés rue des Marmousets dans la Cité. Un arrêt à l’existence douteuse, remontant à plus d’un siècle, interdirait suivant la rumeur publique d’occuper le lieu en raison d’un crime qui y aurait été commis par un ancien propriétaire.

Ci-dessous, le texte du Théâtre des antiquitez, transcrit par mes soins en orthographe plus moderne :

De la maison des Marmousets

C’est de temps immémorial, que le bruit a couru qu’il y avait en la Cité de Paris, rue des Marmousets, un pâtissier meurtrier, lequel ayant occis en sa maison un homme, aidé à ce par un sien voisin Barbier, feignant raser la barbe : de la chair d’icelui faisait des pâtés qui se trouvaient meilleurs que les autres, d’autant que la chair de l’homme est plus délicate, à cause de la nourriture, que celle des autres animaux. Et que cela ayant été découvert, la Cour de Parlement ordonna qu’outre la punition du Pâtissier, sa maison soit rasée, et outre ce une pyramide ou colonne érigée audit lieu, en mémoire ignominieuse de ce détestable fait : de laquelle reste encore part et portion en ladite rue des Marmousets.

Le Roy François premier par ses patentes octroyées à Maître Pierre Belut, Conseiller du Parlement pour y rebâtir, déclare la démolition avoir été faite pour grand crime commis en icelle : Mais il ne le spécifie point, pour ce qu’on ne lui représentera pas le susdit Arrêt de la Cour. Tant y a que la place est demeurée vague plus de cent ans. Et pour preuve, je rapporterai ici les susdites lettres du roy François, que m’a communiquées Monsieur Nicolas Belut, Conseiller au Trésor, fils dudit Pierre Belut, et détenteur de ladite maison des Marmousets.

François par la grâce de Dieu roy de France, savoir faisons à tous présents et advenir, nous avoir reçu l’humble supplication de notre cher et bien-aimé, Maistre Pierre Belut Conseiller en notre Cour de Parlement de Paris, contenant qu’il est Seigneur propriétaire d’une masure et place vide, appelée anciennement le lieu des Marmousets, située en la Cité de notre ville de Paris, en la rue des Marmousets : laquelle cent ans et plus, est demeurée inhabitée au moyen de certain Arrêt que l’ont dit avoir été dès ledit temps donné contre le détenteur d’icelle, pour aucuns cas et crimes par lui commis, duquel ne se trouve toutefois aucune chose par écrit, et sous couleur dudit prétendu Arrêt, aussi du commun bruit de ladite ville, qui est, que ladite place doit à toujours demeurer inhabitée, n’a jamais ledit suppliant osé entreprendre de la faire bâtir et réédifier sans notre congé et permission : Nous suppliant et requérant à cette cause, ayant égard au long temps qu’il y a que le dit Arrêt, si aucun en y a, peut être donné : Aussi que le dit lieu et place vide est assise en l’une des principales et plus anciennes rues de notredite ville, laquelle en est grandement difformée, notre plaisir soit lui permettre qu’il puisse icelle faire bâtir et réédifier, et sur ce lui octroyer nos lettres à ce convenables. Pour ce est-il, Que nous ce considéré, inclinant libéralement à la supplication et requête qui par lui nous a été faite par aucuns nos Spéciaux serviteurs, à icelui Belut, pour ces causes et autres bonnes considérations à ce nous mouvant(?), avons de notre grâce spéciale, pleine puissance, et autorité Royale, permis et octroyé, permettons et octroyons par ces présentes, qu’il puisse et lui jouisse, toutes et quantes fois que bon lui semblera, faire bâtir et réédifier icelle place, et lieu vide, pour être habitée ainsi que les autres maisons de notre ville de Paris. Nonobstant ledit prétendu Arrêt, sentence du Prévôt de Paris, condamnation de l’hôtel et de notre dite ville, et autres quelconques qui sur ce pourraient être intervenus : Auxquels Arrêt, sentence, et condamnation, Avons de notredite autorité, dérogé et dérogeons par cesdites présentes, et sur ce imposons silence perpétuel à notre Procureur présent et advenir. Si donnons en mandement par ces mêmes présentes, à nos aimés et féaux les gens tenant notredite Cour de Parlement, Prévôt de Paris, et à tous nos autres Justiciers et Offciers, ou à leur Lieutenant, et à chacun d’eux, si comme à lui appartiendra, que nos présentes grâces, permissions, et octroi, et de tout contenu en cesdites présentes, ils fassent, souffrent, et laissent ledit Belut, et ses hoirs successeurs, et ayant cause, jouir et user pleinement, paisiblement, et perpétuellement, sans en ce leur faire, mettre, ou donner, ne souffrir être fait aucun destourbier [obstacle], ou empêchement au contraire. Lequel si fait, mis, ou donné lui avait été, ou était, fasse réparer et remettre incontinent et sans délai à pleine délivrance : Car tel est notre bon plaisir : Nonobstant ledit Arrêt, et quelconques autres ordonnances, restrictions, mandements ou défenses à ce contraires, sauf en autre chose notre droit et l’autrui en toutes. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, Nous avons à ces présentes fait mettre et apposer notre sceau : Donné à Paris au mois de Janvier, l’an de grâce, mil cinq cent trente-six. Et de notre règne le vingt-troisième. Par le roy, le comte de Beurauzezis, et de Charny Admiral de France présents. Signé. Bauchetel.

[Jacques du Breul (1528-1614). Le Théâtre des antiquitez de Paris. Paris, Société des imprimeurs. Édition de 1639.]

Ce texte et lettres patentes sont publiés à l’identique dans La Bibliothèque ou thrésor du droict françois de Laurent Bouchel.

Un siècle plus tard, on trouve une mention détaillée de la fable sous la plume de Piganiol de La Force en 1742. Nous y voyons qu’il y a présent plusieurs victimes du duo sanguinaire, qu’il s’agit d’une véritable industrie :

Auprès de l’Église de la Madeleine est une rue longue, mais étroite nommée la rue des Marmousets, qui prend depuis la rue de la Juiverie, & va jusqu’à la porte du Cloître Nôtre-Dame. Elle a pris son nom d’une maison ou Hôtel qu’on appelloit en 1300. 1410. & 1475. Domus Marmosetorum.

On ne sçait si l’on doit regarder comme un conte, ou comme une vérité une tradition fort ancienne qui veut qu’il y ait eu autrefois dans cette rue un Barbier qui coupoit la gorge à quelques-uns de ceux qu’il rasoit ; & puis livroit leurs corps à un Patissier qui en faisoit des patés, dont il avoit un débit surprenant. Ce crime ayant été découvert, le Barbier & le Patissier furent punis de mort, leurs maisons rasées, & une Piramide érigée en leur place. On n’a point de preuves positives de tous ces faits ; mais il est constant que pendant plus de cent ans il y a eu dans cette rue une place vide, & sur laquelle le Propriétaire ne croyoit pas qu’il lui fût permis de bâtir. Pierre Belut Conseiller au Parlement à qui elle appartenoit, en demanda la permission à François I. & ce Prince par des Lettres Patentes du mois de Janvier de l’an 1536. lui permit d’y faire bâtir, & reédifier une maison pour être habitée, ainsi que les autres maisons de Paris. Nonobstant, ajoûtent-elles, ledit prétendit Arrêt, Sentence du Prevôt de Paris, condamnation de l’Hôtel de nôtre dite Ville, & autres quelconques qui sur ce pourroient être intervenus : ausquels Arrêts, Sentence & Condamnation avons de nôtre autorité dérogé, & dérogeons par ces présentes, & sur ce imposons silence perpétuel à nôtre Procureur présent & advenir. Quoiqu’on ne trouve nulle part ni informations, ni Arrêt qui parlent de ce prétendu crime, il ne s’ensuit nullement qu’il soit faux ; car dans les crimes atroces & extraordinaires, il a été toujours d’usage, & il l’est encore aujourd’hui, d’en jetter au feu les informations & la procédure, pour ne point les rendre croyables : Nam sunt crimina quæ ipsa magnitudine fidem non impetrant. Quelques-uns croyent que les Archevêques d’Embrun avoient autrefois leur Hôtel dans la rue des Marmouzets, au coin de la rue de la Licorne, parcequ’on trouve qu’en 1391. Jean Girard Archevêque d’Embrun demeuroit en cet endroit. Cette raison ne prouve gueres mieux qu’il y ait eu ici un Hôtel d’Embrun, qu’elle prouve qu’il n’y en ait point eu.

Dans la rue des Marmouzets aboutit une autre rue nommée la rue Cocquatrix, qui, selon Sauval, se nommoit autrefois la rue Fery de Paris, la rue des Hermites, la rue des deux Hermites, à cause d’une enseigne. Cette rue ayant depuis été coupée en deux, on a donné à une partie le nom de la rue des deux Hermites ; & à l’autre celui de rue Cocquatrix, à cause d’un homme de ce nom, qui y avoit une maison nommée en 1300. Domus Cocquatris contigua Domui Marmosetarum. Il y avoit, & il y a encore dans cette rue, un Fief qui porte le nom de Cocquatrix, & qui consiste en plusieurs maisons situées ici, & en plusieurs rues diffèrentes.

[Jean Aymar Piganiol de La Force (1673-1753). Description de Paris, de Versailles, de Marly, de Meudon, de S. Cloud, de Fontainebleau, et de toutes les autres belles maisons & châteaux des environs de Paris. Paris, Théodore Legras, au Palais. 1742.]

Cette version enjolivée sera plagiée par plusieurs auteurs comme Hurtaut et Magny dans leur Dictionnaire historique de la ville Paris et de ses environs (1779).

En 1775, Jean Baptiste Michel Renou de Chauvigné, dit Jaillot (1710-1780), géographe réputé pour son sérieux et sa science, écrit “Je ne crois pas devoir faire ici mention d’une tradition rapportée par du Breul (…). Cette histoire ne me paroît appuyée sur aucune preuve.”. Il ne met pas en doute les lettres de François Ier ni l’interdiction qu’il fut donné de construire à cet endroit, mais le reste, qu’il se refuse de rapporter, tient pour lui à l’évidence de la fable.

L’histoire devient fantaisiste au début du XIXe siècle sous la plume de Louis Marie Prudhomme (1752-1830) :

RUE DES MARMOUSETS.

Cette rue, fort étroite, a pris son nom d’une maison nommée le lieu des Marmousets. Un bout donne derrière le parvis Notre-Dame. Anciennement plusieurs traiteurs y avaient la vogue ; tout Paris y venait pour acheter des pâtés qui étaient très-renommés. Ils étaient composés, dit-on, avec de la chair humaine.

Le pâtissier qui les travaillait, était voisin d’un barbier, qui, lorsqu’il se présentait chez lui quelqu’un de replet pour se faire faire la barbe, lui coupait la gorge, le jetait dans une cave par le moyen dune trape faite en bascule. Sa cave communiquait à celle du pâtissier.

Ce crime horrible a été découvert par un chien qui avait accompagné son maître chez le barbier. Le chien ne voulut pas quitter la porte du barbier.

Plusieurs personnes moururent de chagrin d’avoir mangé de ces pâtés.

[Louis Marie Prudhomme. Miroir historique, politique et critique de l’ancien et du nouveau Paris, et du département de la Seine. Paris, Prudhomme fils. 1807.]

Par la suite, le conte s’enrichit de nombreux détails issus de l’imagination fertile des écrivains : l’étudiant allemand et son chien fidèle, les criminels brûlés dans des cages de fer sur la place de Grève, etc. La version extrêmement imagée et riche en détails sanguinolents livrée par Paul Lacroix (1806-1884), sous le pseudonyme de Paul L. Jacob, dans le journal L’Europe littéraire en juillet 1833 (lire sur Gallica), est particulièrement notable. Ce texte, qui sera abondamment plagié par de nombreux “historiens”, souvent mot à mot, me paraît être à l’origine de bien des enjolivements à foison reproduits.

Charles Nodier (1780-1844), dans un récit moralisateur de son Paris historique, promenade dans les rues de Paris (1838), certifie que l’histoire est tout à fait sérieuse, car “attestée par la tradition” — quoi de plus incontestable… — et donne même une adresse : au no 13. Il précise que les multiples victimes étaient des enfants, ce qui est une nouveauté divertissante qui nous évoque l’image d’un couple pervers (probablement sodomite) croqueur d’enfants. Les légendes urbaines sont les expressions de toutes les peurs, de tous les fantasmes et obsessions.

Parfois, on n’omet pas de caser un peu d’antisémitisme en ajoutant que le barbier était juif, ce qui devait sans doute rendre plus crédible l’histoire dans l’esprit de l’auteur Amédée de Ponthieu :

Cette rue doit son nom à une maison qui s’appelait dans les anciens titres : Domus Marmosetorum, à cause de sa sculpture représentant des marmousets (enfants en bas âge).

Sous Charles VI, le peuple avait stigmatisé les conseillers de ce roi, renommé par sa faiblesse, du sobriquet dédaigneux de Marmousets.

[…] La maison des Marmousets fut rasée par un arrêté du parlement, pour un crime célèbre dans les annales parisiennes.

À cette maison qui faisait le coin de la rue des Marmousets, et de celle des Deux-Hermites, pendait l’enseigne d’un barbier juif. Son voisin était un pâtissier.

Parmi les pratiques qui entraient chez le barbier, plusieurs n’en sortaient pas. Lorsqu’il avait affaire à des clients d’un embonpoint respectable ou d’un âge encore tendre, au lieu de les raser il faisait jouer une bascule qui les envoyait au fond d’une oubliette où ils étaient tués et livrés encore chauds au pâtissier voisin, son associé, qui vendait des pâtés, d’une délicatesse renommée à sa clientèle anthropophage sans le savoir.

Mais il arriva que le chien d’un client qui ne sortait pas, s’obstina à rester à la porte, attendant son maître.

On avait beau le chasser, il revenait toujours et poussait des hurlements lamentables.

La femme du pauvre diable, en cherchant de tous côtés, rencontra le chien, qui ne voulait pas quitter son poste et qui la tirait par sa mante, comme pour la faire entrer chez le barbier. Un horrible soupçon traversa son esprit ; elle alla conter l’affaire au lieutenant criminel qui ordonna des perquisitions chez le barbier. On descendit dans la cave, et là on trouva, sur un monceau d’ossements humains, les débris de la dernière victime à moitié dépecée par le pâtissier.

Un poëte de carrefour, Poirier, dit le Boiteux, rappelle cet événement tragique dans ces vers de complainte :

Puis, rue des Deux-Hermites,
Proche des Marmouzets,
Fut deux âmes maudites
Par leurs affreux effets :
L’un, barbier sanguinaire,
Pâtissier téméraire,
Découverts par un chien,
Faisant manger au monde,
Par cruauté féconde,
De la chair de chrétien.

Le barbier et le pâtissier furent brûlés vifs, chacun dans une cage de fer, et leur maison rasée. L’effigie du chien fut reproduite sur une borne qu’on voyait encore il y a quelques années, comme monument commémoratif de cette tragique aventure.

On n’a pas de preuve positive de cet horrible événement ; mais il est constant que, pendant plus d’un siècle il y a eu dans cette rue une place vide par autorité de justice, et dont le terrain appartenait à Pierre Belut, conseiller au Parlement, qui demanda à François Ier l’autorisation d’y bâtir.

[Amédée de Ponthieu. Légendes du vieux Paris. Paris, Librairie Bachelin-Deflorenne, 1867.]

(On notera par ailleurs le plagiat du texte de Piganiol de La Force.)

Amédée de Ponthieu donne cependant plus loin un indice sur le chien qui pourraît être une variante de l’ancienne légende du chien de Montargis, popularisée par le mélodrame de René Charles Guilbert de Pixérécourt, Le Chien de Montargis ou La forêt de Bondy (Théâtre de la Gaîté, 1814).

Charles Lefeuve (1818-1882), dans Les anciennes maisons de Paris sous Napoléon III (tome 5, 1865) donne l’adresse du 11, rue des Marmousets, tout en reprenant le détail des “personnes mortes de chagrin” que l’on trouvait chez Prudhomme. L’auteur nous informe que les criminels ont subi le supplice de la roue, ce qui nous change plaisamment de la grillade dans une cage de fer, et que le terrain des maisons fut passé au sel.

Enfin, Édouard Fournier (1819-1880), dans Chroniques et légendes des rues de Paris (1864), nous dit que la maison de Bélut faisait l’angle des rues des Deux-Hermites et des Marmousets et qu’une pierre figurant un chien en bas-relief y commémorait l’histoire.

Nous pouvons voir la présence de la fameuse Maison des Marmousets (domus Marmosetorum) à cet endroit sur le plan de Berty, maison qui numérotée 15 sur l’atlas Vasserot, et désignée “maison Veuve Granger” sur le parcellaire 1840-1850. La maison à l’autre coin (no 13) est bien trop petite pour avoir été celle de Pierre Belut.

Maison des Marmousets

Situation de la Maison des Marmousets sur le plan de Berty et Lenoir, maison qui donna son nom à la rue. [1600 x 1000 px.]

Les publications postérieures n’apportent pas d’éléments nouveaux, l’intérêt pour la légende s’étant affadi après la disparition des rues des Marmousets et des Deux Ermites en 1866. Il conviendrait aussi de faire un sort aux écrits plus contemporains de Lorànt Deutsch, auteur qui déplace la scène du crime dans un endroit tout à fait improbable sur la rue Chanoinesse :

Puis direction rue Chanoinesse. Aux 18 et 20, se trouvaient autrefois deux maisons, l’une occupée par un barbier, l’autre par un pâtissier. Le barbier égorgeait des étudiants logés par les chanoines de Notre-Dame et revendait les corps au pâtissier qui en faisait des pâtés dont se régalaient les chanoines ! Les deux complices furent brûlés vifs en 1387… Dans le garage des gardiens de la paix motocyclistes qui occupent les lieux aujourd’hui, vous trouverez un autre reste du rempart gallo-romain du IVe siècle : cette étrange protubérance de pierre a traversé le temps sous le nom de “pierre au boucher” car c’est là que le pâtisser se serait livré à sa sinistre cuisine…

[Lorànt Deutsch. Métronome. Michel Lafon, 2009.]

Marville : rue des Marmousets

Version haute définition : 2600 x 3125 pixels.

Position estimée